Je m’apprêtais à ouvrir ma porte lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air douceâtre quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Marcus.
J'en ai marre de ces murs. Je regrette le papier peint jauni mais fleuri de ma maison. Je suis si seul dans cette prison que j'ai bien le temps de penser. A tout, à rien, comme quand on prend un bain, sauf que le robinet ne déverse que de la solitude.
Je me demande si ma mère fait toujours ses tartelettes aux groseilles, si elle répond toujours d'une petite voix anxieuse au téléphone, comme si à chaque fois qu'elle décrochait quelqu'un allait la battre, si elle récupère toujours les allumettes brûlées pour au cas où, mais il n'y a pas de cas où, elle avait juste pris les habitudes de la guerre, bien avant, ou si elle range toujours ses bas bouci-boula, même quand ils étaient filés elle les lavait puis les mettait dans son tiroir à bas. Je me suis toujours demandé pourquoi puisqu'elle ne les portait plus jamais après. Je n’ai jamais posé la question. Après tout, cela ne me regardait pas. Elle non plus ne m’a jamais demandé pourquoi j’adorais dormir avec cette petite autruche rose qui faisait coin-coin comme un canard. Pourtant la réponse aurait été simple : parce que c’était elle qui me l’avait donnée, et qu’on jouait ensemble, juste tous les deux, quand j’étais enfant.
Depuis que je suis dans cette cellule, je me demande aussi ce qui s’est passé pour que ma mère se sépare de moi. Pourquoi du jour au lendemain elle n’a plus été là. Pourquoi. Mais finalement le pourquoi je m’en fiche bien, tous les jours je sais qu’elle va arriver. Elle va dire me voilà, elle va dire comment ça va toi, elle va dire je regrette de ne t’avoir rien dit, je suis juste partie en voyage, elle va dire pardonne moi, viens, on rentre.
Et tout sera oublié, et l’on gambadera ensemble comme avant, comme quand j’étais plus petit.
Mais tous les jours elle n’est pas là. D’autres gens viennent me voir, mais ils passent vite leur chemin, ils évitent mes yeux comme si ça les brûlait.
Et puis je ne suis pas dupe, on dirait que je sens ce qui va arriver. Elle a l’air nauséabond d’un couloir de la mort cette petite allée. Quand même, qu’est-ce qui se passe là-bas, au bout de la route, après la porte ?
C’est mon copain de la cellule d’à-côté qui m’a mis au parfum : il m’a dit là-bas, au bout, et bien il n’y a plus rien.
Je lui ai dit plus rien comme quoi ?
Il m’a regardé : plus rien comme une écuelle vide.
Ah ? j’ai dit.
Il a continué pendant que d’autres gens passaient sans nous voir.
Il m’a posé des questions du genre est-ce que ta mère elle courait ? Ben oui, avant, parfois, mais c’est vrai que ces derniers temps, elle allait à petit pas, comme si c'était trop dur de porter ses frêles kilos. Et il m’a demandé aussi si elle prenait des p’tites pillules, peut-être même qu’elle avait une p’tite boîte pour les mettre? Ah oui, je me souviens, une petite boîte en plastique vert, toute simple, trop simple, avec des p’tits bonbons, pour tous les moments de la journée. Ce sont des médicaments m’a-t-il dit. C'est pour les gens qui sont malades. Il m’a aussi dit dis-donc, quand tu l’as vu pour la dernière fois, elle était pas sur un lit portatif, avec des gens autour ? Ah oui, tiens, ça me revient… c'est bizarre que j'aie oublié, c’est un peu après que des gens m’ont emmené pour une balade. Même que j'ai remué la queue, on ne se refait pas, pourtant j'avais un peu mal partout quand ils m'ont porté dans le camion. Quand elle partie je savais bien que ce n'était pas l'heure de la balade, pas de laisse, et en plein milieu de la nuit elle avait passé un coup de téléphone. Je me demande maintenant comment elle avait réussi, elle paraissait si faible.
Et alors ?
Et après des gens sont venus, et maintenant je suis là, j'ai dit. C'est tout.
Et ce p'tit bâtard il a rit, un peu en toussant, et il m'a dit comme si je n'étais qu'un con : ta mère, elle est clamsée. Et bientôt c'est ton tour. Tout vieux comme ça personne ne voudra de toi, non mais regarde-toi, tes poils sont comme un vieux tapis, c'est l'heure des encombrants mon pote.
C'est là que j'ai compris qu'elle ne reviendrait pas. Qu'elle ne reviendrait plus. Ni demain, ni dans mille ans. Que c'était fini les petites tartelettes à la groseille qui sentaient bon jusque dans mon museau, les p'tits tours en ville et les p'tits calins et les je t'aime avant de se coucher. Tout ça c'est bien fini.
Je n’ai plus de larmes pour pleurer sur le sort qu’on m’a jeté. Plus de force pour relancer les dés. Je suis juste là, à tourner, en caressant les murs qui me protègent de mon avenir, pour le peu que je m'en soucie.
Les gens qui passent, c’est moi qui ne les vois même plus.
Mon copain de la cellule d’à-côté m’a dit vieux, demain, c’est l’grand jour.
Le jour où je serai piqué.
Mais ça va c'est demain. J'ai encore le temps de pleurer, une patte sur les yeux, en me souvenant que ça ressemblait bien à un rêve toutes ces années. Et qu'avec un peu de chance, je vais la retrouver.
J'en ai marre de ces murs. Je regrette le papier peint jauni mais fleuri de ma maison. Je suis si seul dans cette prison que j'ai bien le temps de penser. A tout, à rien, comme quand on prend un bain, sauf que le robinet ne déverse que de la solitude.
Je me demande si ma mère fait toujours ses tartelettes aux groseilles, si elle répond toujours d'une petite voix anxieuse au téléphone, comme si à chaque fois qu'elle décrochait quelqu'un allait la battre, si elle récupère toujours les allumettes brûlées pour au cas où, mais il n'y a pas de cas où, elle avait juste pris les habitudes de la guerre, bien avant, ou si elle range toujours ses bas bouci-boula, même quand ils étaient filés elle les lavait puis les mettait dans son tiroir à bas. Je me suis toujours demandé pourquoi puisqu'elle ne les portait plus jamais après. Je n’ai jamais posé la question. Après tout, cela ne me regardait pas. Elle non plus ne m’a jamais demandé pourquoi j’adorais dormir avec cette petite autruche rose qui faisait coin-coin comme un canard. Pourtant la réponse aurait été simple : parce que c’était elle qui me l’avait donnée, et qu’on jouait ensemble, juste tous les deux, quand j’étais enfant.
Depuis que je suis dans cette cellule, je me demande aussi ce qui s’est passé pour que ma mère se sépare de moi. Pourquoi du jour au lendemain elle n’a plus été là. Pourquoi. Mais finalement le pourquoi je m’en fiche bien, tous les jours je sais qu’elle va arriver. Elle va dire me voilà, elle va dire comment ça va toi, elle va dire je regrette de ne t’avoir rien dit, je suis juste partie en voyage, elle va dire pardonne moi, viens, on rentre.
Et tout sera oublié, et l’on gambadera ensemble comme avant, comme quand j’étais plus petit.
Mais tous les jours elle n’est pas là. D’autres gens viennent me voir, mais ils passent vite leur chemin, ils évitent mes yeux comme si ça les brûlait.
Et puis je ne suis pas dupe, on dirait que je sens ce qui va arriver. Elle a l’air nauséabond d’un couloir de la mort cette petite allée. Quand même, qu’est-ce qui se passe là-bas, au bout de la route, après la porte ?
C’est mon copain de la cellule d’à-côté qui m’a mis au parfum : il m’a dit là-bas, au bout, et bien il n’y a plus rien.
Je lui ai dit plus rien comme quoi ?
Il m’a regardé : plus rien comme une écuelle vide.
Ah ? j’ai dit.
Il a continué pendant que d’autres gens passaient sans nous voir.
Il m’a posé des questions du genre est-ce que ta mère elle courait ? Ben oui, avant, parfois, mais c’est vrai que ces derniers temps, elle allait à petit pas, comme si c'était trop dur de porter ses frêles kilos. Et il m’a demandé aussi si elle prenait des p’tites pillules, peut-être même qu’elle avait une p’tite boîte pour les mettre? Ah oui, je me souviens, une petite boîte en plastique vert, toute simple, trop simple, avec des p’tits bonbons, pour tous les moments de la journée. Ce sont des médicaments m’a-t-il dit. C'est pour les gens qui sont malades. Il m’a aussi dit dis-donc, quand tu l’as vu pour la dernière fois, elle était pas sur un lit portatif, avec des gens autour ? Ah oui, tiens, ça me revient… c'est bizarre que j'aie oublié, c’est un peu après que des gens m’ont emmené pour une balade. Même que j'ai remué la queue, on ne se refait pas, pourtant j'avais un peu mal partout quand ils m'ont porté dans le camion. Quand elle partie je savais bien que ce n'était pas l'heure de la balade, pas de laisse, et en plein milieu de la nuit elle avait passé un coup de téléphone. Je me demande maintenant comment elle avait réussi, elle paraissait si faible.
Et alors ?
Et après des gens sont venus, et maintenant je suis là, j'ai dit. C'est tout.
Et ce p'tit bâtard il a rit, un peu en toussant, et il m'a dit comme si je n'étais qu'un con : ta mère, elle est clamsée. Et bientôt c'est ton tour. Tout vieux comme ça personne ne voudra de toi, non mais regarde-toi, tes poils sont comme un vieux tapis, c'est l'heure des encombrants mon pote.
C'est là que j'ai compris qu'elle ne reviendrait pas. Qu'elle ne reviendrait plus. Ni demain, ni dans mille ans. Que c'était fini les petites tartelettes à la groseille qui sentaient bon jusque dans mon museau, les p'tits tours en ville et les p'tits calins et les je t'aime avant de se coucher. Tout ça c'est bien fini.
Je n’ai plus de larmes pour pleurer sur le sort qu’on m’a jeté. Plus de force pour relancer les dés. Je suis juste là, à tourner, en caressant les murs qui me protègent de mon avenir, pour le peu que je m'en soucie.
Les gens qui passent, c’est moi qui ne les vois même plus.
Mon copain de la cellule d’à-côté m’a dit vieux, demain, c’est l’grand jour.
Le jour où je serai piqué.
Mais ça va c'est demain. J'ai encore le temps de pleurer, une patte sur les yeux, en me souvenant que ça ressemblait bien à un rêve toutes ces années. Et qu'avec un peu de chance, je vais la retrouver.
8 commentaires:
Contente d'être la première à inaugurer ce lieu plein de promesses.
J'en ai adoré le premier épisode, j'attends avec impatience les autres.
Un jour mes parents et moi, sur un coup de fil, sommes allés chercher une chienne au chenil la veille du jour où elle devait être piquée, ça me rappelle des souvenirs...
Avec mon hypersensibilité du moment, ça va me faire pleurer, dis-donc. Très bonne première! On en redemande.
CarrieB, elle a eu bien de la chance cette petite ! Plus jeune j'étais bénévole dans un refuge (donc pas de piqouzes) et il avait là un chien qui y avait passé onze ans. Il y est sans doute resté jusqu'à la fin de ses jours...
Marmotte, ben alors ? Je t'envoie une glace pour te dorloter, une bonne comédie en DVD pour te requinquer et plein de sourires parce que c'est communicatif :)
Putain, mais c'est pas possible ! ils font chier tous ces blogueurs à écrire bien ! De quoi j'ai l'air moi après ! Bande d'enfoirés !
Merci Sven Thomasson Vërgson ! T'ayant découvert chez l'Arpenteur, je suis au regret de te dire que tu es aussi un bel enfoiré ;)
Mais euuuuuuuh c'est encore plus triste que triste!
Non alors!!!! Et puis y a plus de mouchoirs dans les chiottes de cette agence, j'fais quoi moi maintenant avec un rimel tout coulé?
Bisous ma belle schizo,
Louvekat
Et ben ma louloute louve, ça fait plaisir de te voir ici :) faut pas pleurer, c'est pas la vraie vie, et puis Marcus il est déjà mort depuis longtemps, il s'est fait écraser pas un bus... rhôô meuh non !! ;) (Plus d'mouchoirs à l'agence? ça c'est sûrement à cause de Pat, quel chenapan)
Enregistrer un commentaire