dimanche 16 décembre 2007

Schizo déménage !

Ouaip !

Je me casse, je vais làààààààà !
Les raisons ? euh, ben, j'avais rien à faire ce samedi après-midi. En plus les liens de vos sites ne s'affichent plus quand vous laissez un commentaire si vous êtes chez un autre hébergeur que celui-ci, ce qui m'ennerve comme un poil pubien dans la soupe d'un restaurant qui se la joue.
Ce qui fait déjà deux bonnes raisons.
Et puis je voulais une mise en page qui pète. Funky groovy avec une bannière perso et tout et tout. Vous m'en direz des nouvelles ! (ben quoi, vous allez pas m'abandonner???)

En fait, je ne peux pas vous mentir plus longtemps, évidemment, rien ne s'est passé comme prévu (ben tiens!).
Je suis allée visiter over-blog, je n'y ai pas trouvé ce que je voulais (parce que je suis un peu niaise (tout court, mais surtout en informatique) et que je trouvais ça bien compliqué) et donc j'ai essayé de supprimer le nouveau blog que j'avais créé.
Après 1 heure d'essais infructueux, je me suis dit, que %*§§§&%€ fait chier, tant pis je reste.
Du coup, oubliée la bannière avec des nibards funky*, c'est d'une triste sobriété, m'enfin ici c'était pas l'éclate non plus au niveau de la mise en page donc...
J'y ai remis les trois derniers textes (comme on emporte son lit, son nounours et sa balayette à chiotte (si!) dans son nouvel appart) et très habilement (ouais ben ne riez pas, c'était pas gagné) copié-collé vos commentaires (mais plutôt mal) parce que plus on est de fous, moins on s'ennuie, et puis ça aurait été triste sans vous, et puis je vous z'aime et puis tiens, comme c'est la pendaison de crémaillère, bim, cacahuètes et une nouvelle note !

Alors, vous viendez les copains ? c'est par !

*je sais qu'il y a un moyen mais j'y arrive pas j'vous dis !

jeudi 13 décembre 2007

Schizo-Louis

Je m’apprêtais à ouvrir une noisette lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air qui sentait la nature quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Louis.

Il continuait de se consumer, doucement, bientôt il ne resterait que les racines, protégées par leur cercueil de terre compacte. On dit qu’ils ne souffrent pas, les arbres. Qu’ils vivent et qu’ils meurent, que c’est à peu près tout.
La foudre a dû frapper hier, sur le premier venu, seul dans son champ, tranquille gardien de rien, humble sentinelle des herbes, des vaches et de leurs veaux, ses hôtes pleurotes grandissant comme des fleurs sur son tronc, comme des petits pendus aux lourdes mamelles de leur mère. La foudre a frappé mais la pluie n’est pas venue, le ciel ici a juste lâché son anthracite et son feu, et gardé le reste. Passé son chemin comme un gamin qui vient de faire une blague dont il n’est pas très fier et qui a mal tourné. Qu’il ne peut pas réparer. Même que s’excuser ne servirait à rien, mieux vaut filer.

J’ai regardé le ciel, puis l’arbre, et le champ et les collines derrière les barrières, les quelques vaches ruminant avec une douceur patiente, comme si c’était juste ça la vie, avaler, quatre estomacs pour bien digérer, et que c’était bien comme ça. Que ne pas le faire n’empêcherait pas demain de venir mais que demain serait plus dur sans alors autant le faire, sagement. Moi certaines choses que j’avale je ne les digère pas, elles rôdent dans mon corps et partout je les sens, elles me rendent fou depuis longtemps. J’ai bien regardé les vaches, l’une a tourné un œil mi-inquiet mi-sage vers moi, s’est figée un instant, une mousse herbeuse à la bouche, comme pour me donner son accord. Derrière moi l’arbre toujours se consumait, et je me demandais en m’accroupissant si je ne devrais pas prendre les pleurotes pour ce soir. Parce que qui sait, j’aurai peut-être enfin faim.

Quand j’ai commencé à gratter le sol avec un caillou j’étais tout à fait sûr que c’était l’endroit parfait. J’ai fait un petit trou. J’ai pris dans la poche de mon vieux pantalon le bout de tissu que j’ai étalé par terre près du trou. En l’ouvrant, mes doigts qui le touchaient j’avais l’impression qu’ils pleuraient, et moi j’avais du mal à respirer. J’ai enlevé de mon vieux doigt tâché de terre mon alliance, elle a eu du mal à partir, mes mains sont un peu gonflées. La sienne était sur le bout de tissu. Alors j’ai pris l’une et l’autre et je les ai mises dans le trou. Très vite. J’ai remis la terre, des petits bouts d’herbe et un ver de terre, tout ça dessus leur métal.
Et puis ça a été tout comme un commencement.

- Ça ne sert à rien que les alliances soient séparées, nos corps le sont déjà.
- Mais tu ne peux pas l’enterrer sans. Ça ne se fait pas.
- Sûr je peux.
Tu sais, je l’entends encore rire.
- Je sais.

Il a commencé à pleuvoir, une pluie timide. Comme de petites mains posées légèrement sur mes épaules. Rien ni personne n’a levé la tête de l’herbe alors que je partais. Les petites gouttes m’enrobaient, on aurait dit qu’elles me tenaient chaud. La pluie a duré trois jours, je m'en souviens.

Ça fait bien des années maintenant. Et je ne suis pas revenu dans le champ. J’irai probablement bientôt. Vers la fin. Et je sais bien ce que je trouverai.
Un vieil arbre frappé par la foudre il y a bien longtemps, la tête calcinée et en bas, ça et là de nouvelles branches et de nouvelles feuilles, là où la sève a continué à passer, tandis que le reste du bois s’éteignait.
Tranquille sentinelle, caressant d’ombre un petit veau qui dort.

mardi 27 novembre 2007

Schizo-Fernand

Je m’apprêtais à ouvrir une clémentine lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air fataliste quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Fernand.

Mes yeux avaient perdu dix kilos. Dix kilos ou plus. De rêve. Assis comme on tremble, les yeux sur le gouffre et les mains bien accrochées sur ma falaise, mais juste au bord de cette putain de rivière qui clapote comme les œillades d’une vieille pute qu’on ne regarde même plus. Une rivière c’est comme une pute : ses clin d’œil de reflets c’est que son boulot ça ne veut rien dire elle fait les mêmes à tout le monde, la rivière. Y’a pas plus de tziganes qui dansent sous la lune de ses clapots que d’amour sous les jupes qui se traînent dans un tripot dégueu. Les rêveurs sont des amateurs. Quelque chose sans doute s’était bien cassé dans mes yeux, que je ne me préparais pas à réparer.
J’étais comme à milles miles de toutes les terres habitées, et le dégoût m’a pris quand j’ai entendu cette petite voix familière qui disait : «Dessine-moi un mouton.»
- Je n’en vois pas l’intérêt. Tu devrais t’en aller.
- Il faut un intérêt ?
J’ai soupiré. La tête qui bute sur les étoiles sales sans même le mal de crâne et les yeux dans rien qui puisse les accrocher même pas un crochet de boucher ni même un cul de femme.
- J’ai passé l’âge.
- C’est lequel, le bon âge ?
Il se grattait la tignasse comme on gratouille un chien mais sans la queue qui bat l’air de plaisir et sans les couilles qui vibrent et c'est drôle et sans rien.
- Celui des envies, j’ai répondu.
Puis j’ai tourné la tête et me suis recroquevillé avec fatigue sur mes jambes sales, collées sous mon menton, mes bras autour d’elles, elles sentaient comme mon âme, une odeur âpre et tenace et la rivière n’avait pas plus de reflets qu’avant ou alors si, pour ceux qui croient aux mensonges.

Bien après le petit prince était toujours là, attentif comme dans l’attente, les yeux fixés sur ce que je ne voyais pas. Il me dit :
- Regarde il y a un renard ! puis après : Tu ne le vois pas ?
En me remettant le bas du pantalon je l’ai fixé, mes yeux tout noirs dans les siens tout fragiles :
- Regarde mes yeux. Regarde-les bien.
- Je ne vois rien.
- Pourtant ils sont bien là.
Il baissa la tête.
- Tu vois, tu as compris, p’tit.
Sans baisser la tête je grattais mon genou. Y’a des croûtes sous la toile c’est sûr.

- Elle s’agite la rivière, dit-il.
- N’y prête pas attention.
- Si, on dirait qu’elle s’en va.
- Si quelque chose doit partir crois-moi ce n’est pas la rivière.
- Je ne vois pas pourquoi tout devrait être prévisible.
J’ai fait un effort et plissé mes yeux.
- Tu as peut-être raison. Il semblerait bien qu’elle se tire…
Il a rallumé son mégot comme on dit je te l’avais bien dit. Sans plus. Parce qu’il ne sert pas tant que ça de convaincre.
Elle s’est bel et bien retirée cette chienne d’eau, elle et ses reflets de rien sauf de linceul de morgue froide, ses vaguelettes frissonnantes et ses soubresauts givrés, ses petites branches d’arbre dans elle où même les p’tits oiseaux ne sont plus glacés dessus, leurs petites plumes stalactites, leur petite peau grise en frissons, ils sont partis à temps ou pas, ou ils sont juste noyés congelés sur leurs bouts de bois qui ont craqué de froid et sont juste tombés là, dans l’eau.
- Tu vois bien qu’elle est partie.
Son mégot s’éteint, au petit prince, et il le prend entre le pouce et l’index ; il le jette et il tombe sur la terre. Qui craque de soleil. Du soleil dans les craquelures, sûr qu’il va plus loin et qu’il réchauffe jusqu’à des kilomètres dessous, il nous plombe le soleil. Il faut mettre un chapeau.

- Tu les vois ?
- Sûr. Qu’est-ce que c’est beau.
- Qu’est ce qui t’a fait changé d’avis ? m’a demandé le petit prince.
- Sur quoi ?
- Sur les moutons ?
- J’crois pas que j’ai changé d’avis. On dirait que c’est plutôt eux.
Et sur les chevaux qui jaillissaient de la terre sous nous et nous soulevaient on pouvait embrasser la vallée blanche de laine, des milliers de moutons et d’agneaux bêlant. Et la terre n’était plus craquelée. Et la terre était verte. De la bonne herbe comme on se roulerait bien dedans. Grasse avec des fleurs. Y’avait même plus besoin d’en dessiner un, de mouton, y’en avait des dizaines qui nous caressaient les cuisses et sous nos pantalons rêches on sentait leur laine douce et chaude et de l’autre côté sur nos mollets y’avait les flancs de nos chevaux qui respiraient, brûlants. Et avec le petit prince on riait bien. Je lui disais « je n’aurais même pas su t’en dessiner un, de mouton », « maintenant ce n’est plus la peine » répondait-il en caressant les oreilles de son cheval, à la base, là où c’est tout doux, «y’en a plein. »
Et on a même vu un renard.
Il s’est approché comme une danseuse hésitante, le museau à droite puis à gauche. C’était une renarde. Et puis soudain derrière elle ses petits, des petites boules fauves qui jouaient dans les pattes de nos chevaux. On aurait dit que c’était nos rires qui faisaient flotter nos cheveux tellement on était heureux.
Plus tard, bien plus tard, le vent s’est levé.

- La vie n’est pas juste, m’a dit le petit prince.
- Je ne crois pas que ce soit son boulot.

- Il fait froid, m’a dit le petit prince.
- C’est pas grave, on est deux.
- Ça ne changera rien, répondit-il comme on s’endort, la voix pâteuse.
- Ça a déjà tout changé.

On s’est serré fort et la bouteille a roulé par terre, vide et gelée.
Gelée comme nous.
Et la rivière est revenue. Et avant que je ferme les yeux, ses reflets d’argent sous la lune m’ont adressé un dernier clin d’œil. Je me suis émerveillé comme quand j’étais enfant.
Et cette nuit là sous le vent froid la rivière froide cette vieille pute m’a dit au revoir comme à demain et cette nuit là j'ai fait semblant de la croire.


lundi 26 novembre 2007

Schizo-j'ai pas été là depuis longtemps je m'essplique

C’est la faute de Cormac McCarthy et surtout de sa putain de Trilogie des Confins.
Ça a été la même après cet enculé de Column McCann.
Et la même après ce connard de Chuck Palahniuk.

Mais là c’est pire. Cormac McCarthy c’est pire. L’orgasme de le lire a surpassé, piétiné, noyé dans du caca le plaisir que j’avais à mettre des mots les uns à côté des autres pour faire des phrases. Comme après une grande histoire d’amour, le reste devient insipide, et on n’a plus envie de rien faire.
Enculé.

(Je ne désespère pas de revenir dans les jours prochains, des Picsou Magazine et autres Marc Levy (ouh c’est pas gentil) ayant calmé mes émotions.
La vie peut donc reprendre son cours normal. À très bientôt.)

Salaud.

PS : sinon j'ai été un peu balade aussi, non non, ça va bieux, berci beaucoup, et puis totally surbookée, bref, tout tout plein d'excuses. (d'ailleurs, si je ne fais plus trop mes devoirs bloguesques, c'est aussi la faute de STV qui aimerait bien que j'écrive des trucs plus gais alors que je ne sais pas faire. STV tu m'emmerdes.)

mardi 30 octobre 2007

Schizo-Madeleine

Je m’apprêtais à ouvrir la gazette normande lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air perdu quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Madeleine.

J’ai vu le vent. En tendant la main je le voyais. Il était gris, il était bleu, il était lourd et marin et chargé de marée basse, de gamines qui vont aux crevettes, de parents qui trouvent que le temps pue lui et son crachin mais oh regarde, une crevette, nan deux. Un de ces vents traîtres qui nous enlacent comme des amants avant de nous quitter comme des lâches. À la tu crois que je t’aime là sur la plage avec la mer au fond et partout mais je te serre parce que je te quitte tu vas morfler tu vas gémir tu vas mourir et y’aura que moi tout autour de toi personne ne t’entendra. Partout, ici, et là, tout loin au phare, tout près au ponton, enrobant et en tourbillons sur la digue, oppressant et en bourrasques sur le sable, ce sale vent. Normand, un vent de fin de saison avec des relents de vagues qui pourrissent vite. Et sentent mauvais.

J’ai vu les goélands. Des ailes comme de grandes chauve-souris mais blanches ou gris clair comme au paradis. Et des mouettes parmi eux, criiiin criiiin ça a fait vibrer mes tympans et le reste mais je ne sens pas grand chose ou alors trop et comme je ne sais pas je regarde. Et tous les goélands et les mouettes et peut-être un cormoran égaré tous ils tombent sur terre comme s’ils avaient été mitraillés ; ils s’abattent. Le sable mouillé ne se soulève même pas y’a que mon coeur qui a des hauts puis des bas et probablement à la fin plus de hauts et dans le ciel il n’y a bientôt plus que des cerfs-volants mais plus d’oiseaux ils sont tous descendus ils sont tous là ils sont sur le sable en amas et c’est devant moi et puis soudain les enfants ramènent leurs cerfs-volants et leurs rires chez eux et le soir s’abat.

Avec la nuit qui tombe les goélands s’envolent on dirait qu’ils ont peur ça fait des froufrous de plumes et les taches rouges sur leurs becs vibrent alors que le soleil lui ce soir manque de rouge : un peu pâle, ses reflets sur l’eau qui l’attend sont jaune pisseux ça ressemble à du sale mais quand même il va bien finir par se jeter dedans. Et les oiseaux qui s’éloignent lèvent le rideau sur les algues qui sentent la mer perdue.
Les algues envahissent tout : elles sont vertes et brunes et noires dans le bleu qui tombe laissant place à la nuit et elles s’enlacent pour ne pas se perdre jusqu’à la prochaine marée mais la marée s’en fout et elles sont déjà presque ailleurs les algues, bonnes à rien, qu’à rester et à compter les heures. Elles s’emberlificottent, elles se tourbillonottent les unes dans les autres et leurs reflets huileux sous la lune qui se lève seront bientôt secs comme des yeux de vieux qui n’attendent plus grand chose.

Et alors j’ai vu les bernards l’hermitte. ‘Sont arrivés. Et leur petite armée de pattes. Crac crac sur le sable ça a fait. Crac crac sous les algues qui pourrissent. Une autre marée sur terre en attendant la mer. Scrounch scrounch et puis ploc ploc le choc de leurs coquilles. Ils sortent sous la lune ils s’entassent ils viennent bouffer faut bien. Et je suis restée là, attendant qu’ils terminent, et qu’ils rentrent et que la lune aussi s’en aille et que la marée revienne et qu’avec ses caresses elle reprenne ce qui reste, ce que la vie a laissé, les lambeaux que les goélands n’ont pas réussi à arracher, les chairs que les algues n’ont pas réussi à putréfier, les miettes que les bernards l’hermitte repus et pressés ont abandonnées. Tout ça la mer et ce qu’il y a dedans va s’en charger. Jusqu’à demain. Puis elle va s’en aller. Puis repartir et revenir jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.
Plus rien de mon bébé. Sur la plage même plus de petits bras de petites mains potelées sur des châteaux de sable, le sable il va juste et il vient et recouvre et découvre mais bientôt il ne restera plus rien. Et ce petit rien sera perdu sous les algues.

C’est mon nourrisson. Et puis les gens peuvent pas comprendre. Et puis les cerfs volants reviendront demain. Et les goélands et les algues et le vent et les bernards l’hermitte, s’il reste quelquechose.
Et je l’ai revu là ce soir, par hasard, bizarrement, avec ses petits plombs dans sa couche. Sur la plage.
On dirait que je n’avais pas été assez loin.
Et puis je m’avance et puis la marée monte.
Et puis comme ça elle nous prendra tous les deux.


samedi 13 octobre 2007

Schizo-Willie

Je m’apprêtais à ouvrir un pot de miel lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air moite quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Willie.

Ce n’est même plus le café qui laisse des ronds noirâtres sur la table mais la crasse. Des auréoles sales pour des saints en enfer. Des restes de bière collés aux cendres et qui s’agrippent à nos coudes comme des morbacks, des traces de doigts qui ont piétiné mille fois le formica sans trouver la sortie de ce petit carré d’oubli. Près du comptoir une demi-vieille laisse voir ses vieux tatouages qui vibrent au son de sa peau flasque, ils jouent les accords d’une vie passée mais toujours en devenir de rien, et elle elle marche comme on rampe, la main puis la bouche et de nouveau la main sur le péché, et demain la gueule de bois en châtiment ; tu vomiras dans la souffrance. Et les yeux de tous rotent comme quand on a trop vu mais qu’on n’a pas la force de fermer les paupières, leurs yeux rotent pour faire de la place et continuer à voir, et tous ils la lapent du regard et ils rient et se moquent mais tous, tous sans exception ils se disent « ce soir ce sera p’têt moi. Oui, ce soir ce sera moi » et ils retournent à leurs verres leurs potes et leur misère. Le monde n’a pas deux trous du cul : il n’en a qu’un seul et c’est ici. Au carrefour de rien. Rien d’autre qu’un motel et un bar et quelques caravanes et une décharge. Des gens et des fusils, pour les lapins et les coyotes, et quelques pauvres fermes et quelques maigres vaches et quelques porcs qui n’en finissent plus de hurler quand on les égorge. Quand il crie le porc on dirait que c’est une partie de notre âme qui s’en va. Tellement ça fait mal. Et puis on le bouffe. Et puis on boit.

Bienvenue en enfer.

Jerry nous raconte pour la centième fois une histoire qui n’en est pas une. On invente. Tous. Parce qu’ici il ne se passe rien. On invente et puis si l’histoire est bonne, on répète. Et chacun boit les mensonges comme si il y croyait. Et on se sent vivre. Comme quand Big Joe s’est envoyé cette belle de jour qui avait deux cons « j’vais où, j’choisis lequel ??? heureusement qu’ma bite a un radar ! ». Comme quand Johnny Quat’ yeux a parcouru les plaines sur une licorne, qu’elle était belle et blanche et douce et sur elle au galop il étendait ses mains et il touchait le monde et ça frétillait comme un poisson c’était tout frais et bon et ce jour là il était complètement fait et ce jour là on ne riait pas on rêvait. Mais Johnny Quat’yeux ne raconte plus cette histoire, vu qu’il roupille dans la poussière, mais nous on se souvient : « Johnny et sa licorne… Tu crois qu’il en repasse de temps en temps ? Comme ça, dans les plaines, pour s’envoler un peu ? »

Pete est boursouflé, une septicémie qui commence qu’il dit, un furoncle mal passé qu’il s’esclaffe, et toute sa trogne est en feu et on se marre et on lui dit qu’avec tout le pus qu’il a dans la joue on pourrait alimenter la région entière et il rit et il pue parce que ça remue la sueur et qu’ici on dégouline. Faut bien qu’ça sorte. Tout pue. Les rires sentent le vieux houblon chaud, les chiottes ne sentent même plus l’humain : ça prend tellement au tripes qu’on préfèrerait que ça sente l’urine et la merde mais ça sent le malheur et ça sent le rien. Qu’est-ce que ça daube le rien. Blanca n’y va même plus pour nettoyer. Blanca derrière le bar elle a les yeux creux d’une fille de vingt huit ans qui a perdu. Elle est vide. Tellement qu’elle est vide elle n’a plus besoin de boire. Elle est là à servir avec ses pupilles en trou noir comme un puits sans fond et Dan derrière ne mate même plus ses fesses maigres sous sa jupe courte et crade et nous on évite de la regarder. Comme on évite les miroirs. Une blague ou deux comme ça parce qu’il faut bien mais son sourire fou nous fait du mal. Elle est partie ailleurs dans sa tête, tellement elle est coincée ici. J’dois dire qu’elle a bien d’la chance. C’est comme si elle était partie en vrai. Ouais, d’la chance.

On est la lie de l’humanité. Des fions dans le trou du cul du monde. Pas de tune pour partir, et l’envie qui se carapate chaque jour un peu plus.

On ne vit pas, on attend. Et on n’attend rien. Et quand on sort en crabe comme si on n’avait plus qu’une patte -essayez donc voir- on traverse la route sans regarder en riant ivres morts et en se tapant dans le dos mais c’est pour se donner du courage, pour qu’on se revoie demain, et tous on espère qu’elle va passer. La bagnole. Celle qu’aura pas le temps de freiner.

Mais y’a pas vraiment de bagnoles par ici. Des camions pour la décharge juste. Ils vont, ils viennent, et eux et leurs chauffeurs ils partent très vite pour oublier encore plus vite. Parce que le reste du monde doit être fait de gens bien. Et qu’il n’y a que les connards qui s’échouent ici. Ceux qu’ont pas de bol. Ou ceux qui y sont nés.

Putain comment j’ai fait pour naître ici. On dirait qu’c’est un endroit qui n’existe pas.

mardi 2 octobre 2007

Schizo-Roger

Je m’apprêtais à ouvrir un tube d'aspirine lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air iodé quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Roger.
Les marins sont secs. Rongés par le sel. Les muscles en récifs et des ravins sous les veines, le corps érodé par la mer et sa langue râpeuse comme celle d'une chèvre. La peau en écailles de soleil et les yeux en reflets, les iris comme des phares et les cils en corail.
Les marins sont secs. Et lui est comme tous, et dans ses veines c'est l'océan qui coule.
On ne sait plus qui du bout' ou de la main est en crins, et s'il fixe l'horizon ou si c'est l'horizon qui le regarde longuement comme pour le jauger, et qui l'appelle. Quand il rentre sur la terre ferme elle est mouvante et il tangue et se rattrape aux murs et son univers bascule jusqu'à ce qu'il reparte et que ses jambes enfin cessent de trembler sur les flots.
Maintenant c'est la nuit. C'est la nuit et il ne peut pas dormir parce que c'est la dernière. Après c'est la retraite. On ne veut plus de lui. Trop vieux. C'est la nuit et la mer n'est plus en berceau, et il regarde l'écume qui vole comme un crachat sur son visage. L'océan qui le renie. La rupture qui fait mal. Et l'avenir qui fuit. La dernière nuit et il ne veut pas qu'elle finisse, que le soleil pousse la lune et change les reflets blancs bleutés en dorures, que le bateau s'éveille et qu'il faille faire cap sur la ville. Et avoir les jambes qui flagellent. Le coeur qui dérive. Et chavirer.
Alors il a juré fidélité et puis il est monté dans le petit zodiaque qui dormait contre le flanc du bateau, la corde dénouée comme une caresse sur sa paume. Lui, le zodiaque, et le matériel pour une plongée. Il a lancé le moteur et rattrapé l'horizon, aux confins de l'essence du réservoir. Il a ajusté son gilet à la bouteille en regardant la surface aux vaguelettes de lune. Mis le détendeur en cherchant des yeux autre chose que l'océan mais il n'y avait rien d'autre; le manomètre affichait deux cents bar mais il ne le regarde pas ça n'a pas d'importance là où il va. Enfilé une partie de sa vie et ses palmes et son masque et ses poids. Et s'est laissé glissé dans l'eau. Puis il est tombé.
Et dessous il n'y avait que du noir et puis lui et sa torche sur rien ou plutôt sur tout.
Il tombe et il équilibre et il continue de se laisser tomber et d'équilibrer. Il attend l'ivresse mais elle ne vient pas. Il stabilise à cent mètres. Pourquoi ? Pour rien, comme ça. Et l'ivresse qui ne vient toujours pas. Il n'a pas fallu longtemps pour que son air se fasse rare, à chaque seconde il attend la dernière bouffée, ça va faire comme un vide, une plainte et après ça va commencer.
Dans la lumière de sa torche quelques yeux brillent, aux premières loges.
C'est le moment. Et il commence à avoir mal et ses yeux se révulsent et il veut remonter et il hurle et panique et il n'y a rien de pire et il crache son embout buccal et prend une grande bouffée d'eau comme une goulée de mort et il n'a jamais rien connu d'aussi horrible c'est comme si, c'est comme si... rien, c'est comme rien d'imaginable mais pourvu que ca finisse et quelque chose le pousse c'est monstrueux et lui tire l'épaule "Papy" et puis encore "Papy...??" avec plus d'insistance et deux mirettes brunes comme la terre apparaissent devant lui comme une bouée.

- Papy, tu viens à la plage avec nous ?
- Laisse le finir sa sieste ma puce, tu sais bien que Papy n'aime pas l'eau... Le seul de la famille, si c'est pas bizarre !
- C'est pourtant si joli...

Les marins sont secs. Rongés par le sel. Les muscles en récifs et des ravins sous les veines et dedans y'a l'océan qui coule... L'océan, pas la frousse.

mercredi 5 septembre 2007

Schizo- S, alias Crystal

Je m’apprêtais à ouvrir une boîte d’asperges en conserve lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air amoureux quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Crystal.

On n’a pas eu besoin de préliminaires. Le désir perlait au coin de nos yeux : ils avaient cet éclat diamantin et presque fiévreux du prélude à l’amour.
Ma jupe est tombée sur le carrelage, il m’a portée sur la table dans une tendresse brutale tandis que je m’accrochais à son regard, et mes fesses se sont écartées sur le formica froid.
Tout naturellement mes jambes se sont enroulées autour de lui.
Il avait la force d’un homme qui prend soin de lui et malgré son corps un peu blanc pour moi il était l’amant idéal avec lequel je me serais perdue pour l’éternité. Je ne me lassais pas de fixer la petite cicatrice sur son front, qui m'hypnotisait sans le vouloir. Avec force ses doigts ont joué avec mes lèvres, m’excitant comme si demain n’existait plus, je m’ouvrais à lui et il continuait à m’exciter et sa main cherchait plus profond et il a pris son sexe et il m’a pénétrée et j’ai cru défaillir tellement c’était bon. Puis il m’a soulevée et menée au canapé comme une princesse et j’ai entrepris d’engouffrer avec gourmandise son pénis si doux dans ma bouche c’était chaud et fumant et ma langue sur son gland ne pouvait se rassasier et j’étais goulue et le rendre heureux me rendait si vivante et mon coeur battait la chamade comme si c’était la première fois puis il m’a pris le visage et fait comprendre du regard ses désirs et je me suis retournée avide de lui rendre hommage et j’ai cambré les reins pour qu’il accède à l’interdit que je n’offre qu’à la personne que j’aime et il avait ses mains sur mes fesses et il a malaxé ma chair pendant qu’il me montait et mes cris de jouissance résonnaient en symbiose à ses ahanements et je sentais monter en moi le grand frisson.
Je me suis dégagée et retournée pour pouvoir le dévorer des yeux, glissant ma main sur les muscles de son torse en sueur et me répétant à l’infini qu’il était l’homme de ma vie et j’avais envie de lui raconter des milliards de choses mais j’ai juste murmuré « je t’aime » dans un long souffle et mes yeux étaient en feu.

- COUPÉ !
Qu’est-c’qu’elle a la nouvelle, on tourne un porno là, c’est quoi cette farce à la « j’me pâme » !? C’est pas Autant en emporte le Vent !... Allez, on passe à Tabatha dès qu’elle aura fini avec la poire à lavement. Johnny, remontr’-moi la scène sur le combo, p’tain ils vont avoir du boulot au montage.

Je ne sais pas ce qui m’a pris. Probablement une quelconque dope qui m’a fait délirer. Avant de partir j’ai quand même été nettoyer le foutre sur mon visage.

mercredi 15 août 2007

Schizo-Cornélia

Je m’apprêtais à ouvrir une bouteille lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air fou quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Cornélia.

- Y’a d’la pluie on dirait qu’c’est du sang. Y'a pas d'garrot pour les nuages?
Pourquoi en auraient-ils besoin ?

- On en a tous besoin.
Vous avez besoin d’un garrot ?

- Oui. Non. Vous m’amputez quand ? Nan parce que j’attends là, vous savez, le nez dans une vitre qui ne donne sur rien d'autre qu’un mur de béton. Quand je plonge dedans c’est tout dur on dirait un amalgame d’âmes mortes qui se serrent les unes contre les autres pour ne plus avoir froid mais elle claquent des dents ça fait comme des ricochets de dentiers. Elles sont là toutes serrées comme des pingouins mais sur un sol marécageux, raviné et instable, pas du tout une banquise, lisse et pure non, un truc goudronneux et sale et boueux. Ils se retiennent aux ailes des autres pour ne pas glisser mais vous savez ils finiront bien par tomber. La boue ça ne colle pas, ça emmène juste en bas de la colline, tout en bas où personne n’a le courage de remonter. Même pas les pingouins alors les âmes vous pensez bien.

Pourquoi voulez-vous que je vous ampute ?

- Docteur je m’interroge sur vos capacités. Pour éviter le trop plein évidemment, je craque aux coutures, vous ne les voyez pas les morceaux de moi tomber par ci par là, les miettes de tripes du p’tit Poucet, des traînées de chemin juste bonnes pour les vautours ? Je veux du vide, je veux du rien, une anesthésie du coeur, une vie sans vie. Alors vous m’amputez du ventricule, droit ou gauche c’est votre problème, voyez avec vos confrères, et vous me rendez ma vie d’automate bien tranquille hein. Celle que je n’ai jamais eue. Et par pitié faites vite, on dirait que je ne peux plus attendre.

À votre avis, comment va se dérouler l’opération ?
- Je suppose que vous allez prendre votre scalpel, que vous allez le poser sur les veines de mon poignet, que ça deviendra une tronçonneuse, des éclats d’os partout et le bras exsangue, que vous foutrez votre bras bien profond dans le trou noir de la plaie et remonterez jusqu’au coeur comme un vers vorace, y’aura de l’écarlate qui palpitera partout et avec votre pouce replié sur votre index vous me ferez un truc de toubib dans les ventricules et puis après je ne sentirai plus rien et tout sera tranquille comme un champ de bataille où des corps sourient et où les corbeaux croassent en s’étouffant avec des lambeaux d’yeux et où tout le monde s’en fout car la guerre est finie. Je suppose Docteur que ce sera vite fait bien fait. Et qu’après je vous dirai merci. Vous me direz juste « c’est mon travail, c’est tout naturel » mais vous et moi on saura que vous m’aurez sauvé la vie.

- Qu’est-ce qu’elle fait là ?

- Rien. Elle parle.
- À qui ?
- Ça n’a pas d’importance.

- Mais on va pas la laisser là quand même ?
- Qu’est-ce que vous voulez faire ? On n’a plus d’place dans cet hôpital.
- Mais on n’est pas dans un hôpital là, c’est la vie ?

- On voit bien que vous êtes novice. Regardez bien. Elle s’est endormie.

- Oui mais quand même, il flotte du sang.

- Arrêtez-donc de jouer avec ses lunettes rouges, jetez-moi ça, et demain quand elle se réveillera vous lui en donnerez des bleues, pour qu’elle voie tout plus joli.

- ... Mais on est à court de lunettes bleues...


- Ne vous inquiétez pas, elle en a plein de paires.
Elle les mettra demain. J’vous dis, elle est guérie.

jeudi 9 août 2007

Schizo-Alma

Je m’apprêtais à ouvrir une enveloppe de la mairie lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Alma.

Nostalgique elle l’était, son vieux nez dans son chagrin.
Résignée.
Impuissante alchimiste, à transformer ses larmes rouillées en plomb. Et ça tombe sur la toile cirée qui perd par endroit son revêtement plastique comme une vie qui s’émiette. Elle annone des phrases comme on psalmodie par habitude des souvenirs lointains, des pans de vie passée derrière lesquels elle jouait plus jeune. Et maintenant seuls de fins rideaux jaunis entourent son existence, et filtrent le dehors qu’elle ne peut même plus voir.
Je lui apporte ses repas. Je comble ses silences. Et la regarde sans qu’elle me voie, perdue dans son noir à tâtonner pour retrouver les bords de sa tête, et si elle n’a pas oublié un petit souvenir par là, dans le coin, « dieu que c’est poussiéreux dans mon crâne, on n’a pas idée de laisser tout en bazar comme ça... » Mais je crois et elle sait qu’il n’est plus temps de ranger.

Je regarde autour de moi et les senseverias dans leur pot avec ce cache-pot en accordéon, ceux de sa mère et de sa grand-mère, les senseverias, ça pousse comme de la mauvaise herbe, quelques boutures et c’est parti pour quarante ans, les senseverias sont toujours là quand les gens n'y sont plus, dans un pot sous un cache-pot vert, dans cette minuscule maison de banlieue. Avec la route qui a empiété sur le jardin, la nationale pour que les automobilistes soient à l’heure au boulot. Et dans le petit jardin il n’y a plus d’oiseaux. Trop bruyant. Trop pollué. Et coupé de moitié.
Il y a trois ans que je travaille pour elle, hoh, un peu, je l’aide dans les taches ménagères, les repas, et la toilette parfois quand elle oublie. Et depuis trois ans elle me répète « Tu sais ce que tu as à faire hein, », et je réponds oui, ça faisait partie de l’accord, et elle hoche la tête en tirant un peu son bas qui tombe quand on en a marre, on se laisse glisser à terre et c’est plus simple comme ça. Ses jambes sont si frêles et ce sont toujours les mêmes bas. Qui glissent comme s’ils voulaient s’en aller.
Au repas du midi elle mange comme un bébé, de la sauce coulant sur les poils drus de son menton, et je l’essuie d’un bord de serviette, et ses mains tremblant pour saisir le croûton de pain que je lui tends. Le croûton, c’est ce qu’elle préfère. Et elle creuse dedans pour en retirer la mie. « Parce que la croûte est trop dure pour mes dents tu sais, ce sera pour les oiseaux ». Oui oui, je dis, mais les oiseaux ne viennent même plus pour un bout de pain sur le rebord de la fenêtre. On dirait qu’ils sont partis bien loin.
Elle finit son assiette et son dessert et me demande encore « Tu sais ce que tu as à faire hein ? » et je réponds toujours oui. Je débarrasse la table et dans les bruits de vaisselle j’entends déjà ses ronflements jaillissant du fauteuil.
Je reviens le soir et c’est la même histoire. Mais je traîne un peu plus avant de débarrasser la table, on papote, elle m’écoute, et parfois je regarde ses yeux vitreux qui ne voient plus et je suis presque sûre qu’ils voient quelque chose : son mari, ou ses enfants, ou peut-être au-delà. « Tu sais ce que tu as à faire hein ? »

Trois ans qu’elle me pose la même question deux fois par jour.

Et depuis une semaine, plus rien.
On dirait qu’elle a oublié. Je passe de la crème grasse sur ses mains desséchées et je coiffe ses fins cheveux gris, et elle chantonne un air que je ne connais pas. C’est joli, tout doux comme une caresse d'antan, et je la mets au lit. La dentelle au col de sa chemise de nuit pendouille un peu. Je l’installe bien sur l’oreiller. Elle est prête à s’endormir. Elle s’apprête à vérifier que le réveil est bien remonté, elle aime se réveiller tous les jours à la même heure, ça lui donne une notion du temps, et sa journée se passe à ne rien vraiment faire, à ne rien voir, à manger à heure fixe et puis à m’écouter, parfois, je lui mets des vieux disques aussi de temps en temps mais son visage ne s’éclaire plus depuis longtemps. Un petit mécanisme bien huilé, c’est comme ça depuis des années. Sauf que depuis longtemps elle ne sourit plus. Elle ressemble de plus en plus à un vieux bas qui se laisse glisser.
Mais ce soir je prends sa main dans la mienne alors qu’elle allait vérifier son réveil, et la pose sur sa poitrine. Comme ça. Nos deux mains.
Et elle se met à sourire.
Elle ferme ses yeux aveugles et me murmure : « Je croyais que tu avais oublié ».
J’ai dit que non. Comment oublier ? Et j’ai pris doucement de ma main libre l’oreiller qui était par terre, et sans lâcher sa main, j’ai posé l’oreiller sur son visage. Comme ça. Longtemps.
Elle n’a même pas gigoté. Puis sa main s’est ouverte et a libéré la mienne. Et lorsque j’ai retiré l’oreiller de son visage, elle souriait toujours.

« Tu sais ce que tu as à faire hein ? »
Et bien voilà, c’est fait.
Comment oublier.

lundi 30 juillet 2007

Schizo-Estelle

Je m’apprêtais à ouvrir un stylo lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air trop connu quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Estelle.

Oui. Une fois n’est pas coutume, je me suis retrouvée coincée en huis clos avec moi-même. Et merde. Il semblerait que ces derniers temps, de moins en moins d’autres personnalités se bousculent au portillon de mon neurone, et j’ai une explication : il y a déjà beaucoup trop de choses dans ma petite tête. Alors je tente une thérapie par l’écrit, parce qu’il me tarde de virer le videur qui refoule tout le monde à l'entrée.

Ça fait huit ans que je suis dans la pub. Imaginez mon quotidien : déconne, putes et coke à gogo comme dans les années 80.
Moins les putes et la coke et la déconne, parce que justement, on n’y est plus, dans les années 80. Donc, juste des journées normales, des fous rires, de la création, des nuits blanches au bureau mais pas trop, des pétages de plomb "nan vraiment le client est trop con" et parfois des voyages à pétaouchnok aux frais de la princesse parce qu’on a bien prit soin d’installer l’histoire dans le Grand Canyon, près des chutes du Niagara, ou dans la pampa mexicaine.
Longtemps je ne me suis pas couchée de bonne heure et j’ai aimé, d’une façon très égoïste de petite fille gâtée, mon métier -parce qu’il change tous les jours et qu’en majorité, ce qu’on me demande c’est d’avoir des idées- qui me l’a bien rendu de surcroît, quelques récompenses par-ci par là dans les concours internationaux, et la possibilité de me faire embaucher partout dans le monde.
Et puis la lassitude s’est installée. Puis la trentaine. Et la lassitude s’est gentiment transformée, sinon en haine, du moins en dégoût.
Et un matin j’ai dû mettre mes chaussures à l’envers pour tromper l’impression d’aller au boulot à reculons.

Et puis la décision a été prise.
Et dans un mois et demi je quitte mon taf, treize ans de ma vie études comprises, la Nouvelle-Zélande, pour l'inconnu. Je m'apprête à tourner la dernière page d’un bouquin mille fois terminé, claquant la dernière de couv d’une gifle de la main, pour en ouvrir un autre... dont les pages sont vierges... encore plus que Marie.
Jusque là me direz-vous, mouais, y’a du changement dans l’air, et alors ?

Ouais ben dans cinquante jours j’aurai vendu (ou donné) toute ma vie, tout, tout, TOUT, meubles, matos, fringues (j'suis pas matérialiste m'enfin mes jolies bottes là...!) pour repartir à zéro avec un sac à dos de 20 kg, ni plus, ni moins, avec un stop d’un mois en Australie pour passer quelques diplômes de plongée (j'ai décidé de faire de ma passion un métier -gardant une place pour les opportunités que les voyages et la vie peuvent apporter- et de pouvoir enfin vivre aux côtés de mon amour) et après... après ben je ne sais toujours pas.
Et je ne le saurai qu’en octobre, c’est à dire, une fois que j’aurai tout plaqué (parce que les projets à deux, ça ne se fait que lentement à 15000 bornes de distance. Et puis d’ici là, il m’aimera toujours ? Il n’aura rencontré personne ? Comme ça par hasard ? Ça a tenu jusque là mais la vie est garce parfois alors ça tiendra encore ?...).

Et bien moi qui n’ai jamais eu les deux pieds bien sur Terre, à la rigueur juste un orteil, et encore, de temps en temps, et bien là j’ai la frousse. La pétoche. La trouille de l’incertitude au ventre. Des petits vers qui rongent mes entrailles la nuit et font le ram-dam dans mes insomnies. Parce que pour une fois je n’arrive pas à me projeter dans l’inconnu. Parce que cette fois-ci, ce n’est pas juste un rêve : c’est la vie.
Certains jours je gère l’impatience et l’angoisse. Et d’autres je tombe. Je voudrais pouvoir accélérer le temps, dire merde aux secondes. Mais la pendule de l'existence fait "tic-tac", comme un "non-non, c’est comme ça, t’es coincée pour l’instant", avec ce truc qui grouille en toi comme une fièvre.
Je ne suis plus qu’une boule de stress qui avance certains jours en zombie anesthésiée par le manque de sommeil, et le lendemain explose en torrents de spasmes et de larmes sans rien contrôler. Et les heures qui passent comme des années sans s’en soucier.

Sinon, aujourd’hui, dans le monde, 18000 enfants sont morts de faim, 8000 personnes sont mortes du sida, dont 1000 enfants, combien de civils lors des conflits armés, ça je n’ai pas réussi à trouver de chiffres fiables pour faire un calcul, pareil pour le nombre de femmes violées, battues, etc (un recensement difficile), 1 400 000 enfants prostitués ont eu une journée d’enfer (juste en Inde, Thaïlande, Taiwan, USA, Chine populaire et enfants de l’Europe de l’est se prostituant à l’ouest), 200 à 250 millions d’adultes se sont levés ce matin et se coucheront ce soir (s’ils en ont le droit) en esclaves “modernes”, 100 espèces animales ont disparu et 73 km2 de forêt amazonienne ont été détruits (juste cette forêt-là hein)…


Je sais. Mais mon cerveau n’arrive pas à relativiser. Un bug.
J’vous l’dis : j’ai une frousse comme jamais. Et elle est incontrôlable. Et je suis seule, ici au pays du long nuage blanc, sans ma famille, sans mon amour, sans mes amis, enfin ceux d’avant, ceux de France. Et certains matins j’ai l’impression que mon coeur va s’arrêter et que je vais basculer. Je croyais que j’étais plus forte. Zut.
Alors je me mets dans mon rocking-chair imaginaire, et je ferme les yeux, comme ça en les crispant très fort, me balançant au son du tic-tac d’une pendule dans ma tête, comme une enfant, en me disant que lorsque je les ouvrirai tout cela sera fini, cet entre-deux bâtard.
Mais ça ne marche jamais.

Reste à respirer profondément et à me préparer pour les cinquante jours les plus longs. C'est un gouffre sans fin ce no man's land entre deux livres, avec mon petit moi encore en train de fermer le précédent et sans avoir encore ouvert le prochain. Et serai-je capable de l'écrire, le prochain ? Je saurai faire ? Hein ? Sa-aaa-aaa-mmmmmyyy j'ai peeeeeuuuur...

vendredi 27 juillet 2007

Shizo-Alicia

Je m’apprêtais à ouvrir une huître lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air résigné quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Alicia.

Le plus grand génocide jamais vu.
Éradiquer une espèce entière et faire valdinguer plus de trois millions d’années d’évolution.
Sans que personne ne s’en rende compte.

L’écho de ces trois phrases ricochait sans fin sur les parois de mon esprit morne, et tandis que Rob mettait une touche finale à la machine (il a toujours été maniaque, à recompter dix fois les additions au restaurant, à remonter quatre à quatre les marches de l’escalier trois fois pour être sûr que la porte était bien fermée, à plonger sa main deux fois dans la boîte aux lettres pour se convaincre que l’enveloppe était correctement rentrée, un maniaque Rob, mais ça n’a jamais autant valu le coup qu’aujourd’hui), je regardais sans larmes un reportage de la chaîne AGIR : devant les dix derniers hectares de la forêt amazonienne une foule s’amassait.

Des bébés trop jeunes pour comprendre qu’il leur faudrait ad vitam eternam porter un masque pour pouvoir respirer ; finies les enlaçades spontanées, oubliés les premiers baisers comme quand il suffisait que deux bouches se rapprochent pour faire suffoquer deux cœurs.
Des femmes trop mûres pour oublier le temps d’avant ; terminés les espoirs et les rêves d’antan, toutes avec la certitude qui troue le cœur d’avoir fait la pire chose en faisant un enfant.
Des hommes venus du monde entier la rage au poing et la souffrance à fleur de poil ; vain l’espoir qu’une bataille pourrait faire changer le monde, et leurs mains qui se rentrent en pleurs dans leurs poches.
Tous impuissants. Petits et grands. À regarder l’un des derniers symboles d’une humanité responsable foutre le camp. Et à ressentir toute l’irrévocable tristesse de leurs frères, l’échine courbée, qui attaquent à la tronçonneuse les derniers arbres.
Tous ressentant au tréfond de leur âme cette grande maladie de la civilisation, les uns les yeux au sol comme s’ils attendaient un miracle de la planète, les autres les yeux aux ciel comme s’ils n’attendaient plus rien de l’Homme.
Et les bébés qui pleurent. Parce qu’ils ont faim. Ou souillé leur couche.

Rob vérifiait une dernière fois la machine. J’ai éteint le téléviseur comme on éteint un mauvais rêve. Et me suis endormie d’un sommeil lourd parce que c’était le dernier.

En partant le lendemain alors que la machine s’élevait dans le salon, j’ignorais dans le hublot la photo de mes parents dans un cadre vieilli, le bouquet de roses qui commençait à fâner comme quand on dit aurevoir juste pour nous préparer, un pétale par-ci, un par là, pour nous habituer, pour que ce soit plus doux peut-être, ma bibliothèque où des siècles de pensée, d’analyse, de société, s’étalaient sur les étagères comme dans un hamam de vérité.
Non, le seul hublot, c’était les yeux de Rob. Et la certitude d’avoir fait le bon choix.

Quand nous sommes arrivés quelques trois millions d’années avant, j’ai comme eu la nausée. Un groupe d’Homo Habilis hurlait à l’atterrissage de la machine : trop d’étincelles, de fumée et d’odeurs inconnues.
Les femmes protégeaient leurs petits, les hommes hurlaient des sons gutturaux pour protéger leur clan, et à l’écart un adolescent nous regardait avec amusement, une main sur une plante, presqu’avec tendresse, pour la prévenir du vent de la machine qui aurait pu la déraciner.

Et Rob a commencé.
Il a ouvert la fiole.
Le gaz s’est répandu.
Sans que personne ne s’en aperçoive.
Un gaz qui rendait toutes les femmes, fillettes, nouvelles-nées, et même fœtus, stériles.
Et ma respiration restait la même, derrière le hublot. Calme comme un sommeil sans fin. À vivre aux premières loges la toute fin de l’humanité. Sans que quiconque à part Rob et moi ne s’en aperçoive. Il était là le plan grandiose. Mettre un terme. Annuler tout et on repart à zéro. L'humain en moins.
Nous sommes allés de clans en clans, de grottes en grottes, de plaines en plaines, de montagnes en montagnes, traquant pour une chasse sans souffrance les premiers hommes. Rob ouvrant à chaque fois une autre fiole.
Moi ouvrant à chaque fois les mêmes yeux sans détresse.
Un génocide sans fin. Le génocide du genre humain.


Puis ça a été l’heure du dernier clan. Et j’ai regardé Rob et lui ai demandé de sortir de la machine.
« Pourquoi ? »
« Parce que je veux être avec ma famille. » Oui j’ai répondu « ma famille », comme ça, pour rien, juste parce que c’était la fin.

Il a aquiécé avec une once de tristesse, et a remonté le masque à gaz sur mon nez.
« Pourquoi ? », ai-je lancé à mon tour laconiquement, « ton gaz n’est pas mortel ». Et j’ai rit. De l’insolence pathétique de la situation. Parce que dans une toute petite fiole grande comme mon petit doigt se trouvait la fin de l’humanité. Certes la fin du pire, mais probablement aussi la fin du meilleur. Question de balance : le pire accède toujours au pouvoir; le bon se bat, mais c'est le pire qui gagne. Parce que lorsque le bon n'a à gagner que le meilleur, le pire sort griffes et ongles pour ne rien perdre, de ses acquis criant victoire sur un charnier de conscience.

Et tout ça m’a donné envie de vomir. Une nausée comme on peut en avoir quand on regarde une vie qu’on a gâchée. Les hauts le cœur que seules les décisions irrévocables peuvent donner. Et le malaise qu’offre le pouvoir de s’y autoriser.
Et puis c'est passé.

Et sous mon masque à gaz de loin
j’ai regardé le clan. Tout au fait de ce qu’on nomme la préhistoire, en plein dans la survie, et aussi dans toutes les petites histoires de la vie. La femme Homo Habilis donnant le sein en carressant la tête de son petit, les yeux anxieux sur l’orée de la forêt, attentive au danger, prompte à la réaction et la main sur une pierre coupante. Les paumes ocres de ce membre du clan, sortant de la grotte et se frottant les mains dans l’herbe pour en enlever les pigments qui eux resteront à jamais, du moins jusqu’à mon ancien temps, les prémices d’un langage. L’aube d’une société. La naissance de l’écrit. La transmission d’un savoir. D’une sagesse. Et plus loin une femme, sans qu'aucun membre du clan n'y prête la moindre intention, s'échinait à recouvrir de terre un corps, à un endroit qu'elle pourra retrouver si elle en a envie, un jour.

Et la fiole était vide. Et Rob l’a jétée contre un rocher.
Il a mis le feu à la machine. Un grand brasier qui a apeuré le clan tout entier.
Puis il m’a tendu la capsule de cyanure avancé qu’on a développé en l’an 2230, avec un genre de LSD en plus, et l’on meurt comme si c’était le plus beau moment de notre vie.

Elle a craqué sous ses dents.
Et je l’ai regardé dans les yeux lorsqu'ils se sont révulsés. Partis ailleurs. Et j’ai carressé mon ventre.

J’ai de nouveau eu la nausée.
J’espère que ce sera une fille.
Ma main a lâché la capsule, qui a roulé sur la terre.

Longtemps j'aurai en mémoire le regard de Rob, et cet éclat qui disait... je comprends, tant mieux.
Quelques brins d'herbes dansant au gré du vent plus tard, dos au corps de mon mari, une femme s'est approchée. Si doucement que je ne l'ai pas entendue.
Elle a posé sa main sur la mienne. Et juste comme ça, on a attendu.

lundi 16 juillet 2007

Schizo-Ratana

Je m’apprêtais à ouvrir un flacon de shampoing lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air empuanti quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Ratana.

Les autres enfants cherchent du plastique à revendre, de la ferraille, les pieds dans la puanteurs et les déchets, les mains dans les immondices, ils cherchent de vieux bijoux, ils cherchent tout ce qui est réutilisable, échangeable, vendable, recyclable. Pour quelques infimes riels. Et ça pue partout sous le soleil. Et les bennes continuent leur incessant ballet, entassent et tassent, et tout le monde continue à se pencher sur les mouches, dans une quête quotidienne pour survivre.

Ici, tout le monde cherche à se réveiller le lendemain. Pour pouvoir recommencer à engloutir ses mains dans la décharge publique. Pour continuer à survivre à Steung Mean Chey.
Tout le monde cherche quelque chose. Sathia cherche des bouts de métal qu’elles pourra revendre peut-être et nourrir son petit frère, avec sa maladie de peau qui le gratte à hurler, avec du pus parfois qui croûte en creusant. Vithea cherche des restes à manger que ni les pauvres de la ville ni les chiens faméliques n’auraient encore trouvés. Kimchheang s’essouffle à chercher un plus grand carton, un plus grand sac plastique pour être un peu plus à l’abri des pluies qui ne vont pas tarder, dans sa cabane de fortune.
Et moi depuis quelques temps je marche, un pied qui farfouille dans la décharge, sans jamais me baisser et prendre quoi que ce soit. Tout le monde cherche quelque chose et tout le monde sait quoi.
Sauf moi.
Des chercheurs de survie je les appelle.

Oh je retourne bien quelques immondices, comme ça, par habitude, mais sans vraiment y penser, c’est juste parce que moi aussi je vis là, mais je ne récupère plus rien, je ne me penche plus, je ne me précipite plus à chaque nouvelle benne qui se déverse, jouant des coudes pour glaner un morceau de poulet qui aurait trainé près d’un rat mort dans une poubelle. Je suis un peu à l’écart. Et parfois je me pose là, à l’est de la décharge, sur un vieux bidon, et je regarde le soleil qui fait fondre des bouts de plastique, et les petits arcs-en-ciel sur ce papier graisseux que les mouches soudain envahissent comme une minuscule marée d’un noir brillant, avec des morceaux de vert métallique sur leur dos comme des poissons qui bondiraient. Et puis zoup, un vrombissement et plus rien. Et le petit arc-en-ciel a disparu.
De loin j’entends Rany et Dadano qui disent que je maigris. Ils disent ça et puis c’est tout parce que "Regarde, une canette !".

Mais tous les soirs, quand le soleil se couche et que même les insectes s’en vont, y’a mes copains qui viennent, de ce côté-ci de la décharge. Plein d’enfants, un à un, silencieux, qui s’accroupissent en cercle devant moi, et leurs yeux sont ouverts en corolles comme s’ils se réveillaient.
Hier je leur ai conté ma plus belle histoire.
Je leur ai dit “Tout à l’heure, j’ai trouvé une vielle lampe. Toute cabossée, mais avec une jolie teinte sous sa crasse. Je l’ai essuyée sur mon pantalon, elle était toute belle après, même ses gnons étaient jolis. Et là, il y a eu une grosse fumée et c’était comme si elle se gonflait, comme une voile de bateau vous voyez? Et là un monsieur fait de fumée est sorti.”

Ni Vithéa ni Kimchheang ni même Rany ne m’ont interrompu. Mais comme un long frisson parcourait les rangs des enfants.
- “C’était magique. Il m’a demandé ce que je voulais. Je pouvais tout lui demander, tout tout tout, il pouvait tout exaucer.”
- “Et tu lui a dit quoi, Ratana ?”... “Que tu voulais partir de là !!” a crié l’un ... “ Sur ton beau bateau qui serait rien qu’à toi !!” a gloussé l’autre “Je sais je sais, tu irais à Krong Ko Kong et puis ce n’serait plus que toi, et la mer!!” ...“Et les poissons !! du poisson frais comme s’il tombait tout seul dans ton bateau!!”... “Parce que c’est ça que tu veux?!” a ajouté l’un d’entre eux.
“ Nan. Je lui ai dit que je voulais ça.”
Et je leur ai montré du bras un petit cadre en bois que j’avais accroché à une ficelle, pas très haut, sur un vieux mat pourri. Juste un cadre, avec rien dedans. Mais joli, avec des petites peintures ou ce qu’il en reste dessus.
Ils se sont tous levés, sauf Ny qui faisait la moue, parce qu’elle n’avait plus de famille et qu’à six ans c’est dur. Ils ont regardé le cadre, passé la main au travers et quelqu’un a dit “Mais y’a rien dans ton cadre??!”
“ En réalité il y a tout.”
Ils se sont accroupis à nouveau.
“ Dedans il y a vos rêves. À tous. Et chaque soir vous pourrez venir les regarder. Dans le cadre. Il est magique...”

C’est Ny qui s’est levée la première. J’ai dû la prendre dans mes bras pour qu’elle puisse être à la bonne hauteur. Son petit nez juste au milieu du rien dans le cadre. Et elle a juste dit : “Oh oui, c’est vrai. Je les vois. Qu'ils sont jolis.”
Et tous les gamins ont fait une file.

Je ne sais plus ce que je cherche.
Je ne le saurai que lorsque je l’aurai trouvé.
Jusque là, vivre, c'est rêver.
Quant à survivre... Ça ne gargouille même plus dans mon estomac.



lundi 9 juillet 2007

Schizo-Nina

Je m’apprêtais à ouvrir les yeux lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’eau quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Nina.

On dirait que le monde s’inverse. Quand il pleut. On marche dans des miroirs.
Les pieds dans des immeubles sombres, le bout des bottes crevant le ciel d’un gris de vieux coton, le corps entre deux infinis du monde, et mon tout petit moi qui lève le nez comme pour me noyer dans rien. Quand il pleut rien ne peut arriver puisque le monde est déjà en larmes. Et ça coule en faisant du bien.
Les oiseaux se terrent en silence, peut-être se chuchotent-ils des histoires de soleil en gonflant leurs plumes, une petite couette d’espoir en attendant les escargots. Les escargots eux étirent leurs tentacules et quittent paresseusement qui l’abri d’un buisson qui un dessous de feuille sans se soucier de l’après. Mais pas ici car c’est l’hiver.

Je n’entends rien que les voitures et les humains qui se contractent et courent en pensant éviter l’inévitable. La pluie donne des espoirs un peu fous. Je reste là sans bouger, elle en rigoles sur mes tempes qui battent le froid.
J’aime la pluie. Elle est si pleine d’un vide à remplir. Et si docile : je sais bien qu’elle exaucera mes rêves et qu’un jour elle s’arrêtera. Demain peut-être.
Elle remballera ses miroirs qui ouvrent sous nos pas comme un monde d’en bas.
Elle cessera ses rideaux tombant des auvents qui rendent les jardins flous.
Essoufflée elle arrêtera de danser avec les mégots dans les tourbillons des caniveaux.

Et si elle ne cesse pas alors j’aurai de la chance : je pourrai continuer à rêver au soleil.

J’aime le soleil.
Les escargots qui dorment et les sons de la vie qui ne sont plus assourdis comme dans une antichambre.
Le ciel qui reste en haut, le bitume qui ne joue pas aux abysses.
Le bon sens qui se rétablit.

J’aime le soleil parce que c’est facile. J’aime la pluie parce que je n’ai pas le choix : n'avoir que le curieux pouvoir d'une attente rêveuse laisse sur mes papilles l'arrière-goût apaisant d'une tisane de camomille.

vendredi 6 juillet 2007

Schizo-Soren Thomas Vergeon

(NDLR : ce texte fait partie d'un jeu, dont vous pouvez voir les modalités à la note précédente : grosso modo, créer un texte en suivant le cahier des charges fourni par mes blogopotes)

Je m’apprêtais à ouvrir une bouteille de Pastis lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air qui sent bon l’assouplissant à la lavande sur chemisette à fleurs quand j’ai entrebâillé ma tête, et laissé entrer Soren Thomas Vergeon.

Longtemps je me suis couché de bonne heure. Les apéros prolongés du midi qui exhalaient leurs saveurs anisées en étirant leurs vapeurs comme de longs bras tentaculaires jusqu’au soir n’y étant probablement pas étrangers. Longtemps je me suis couché de bonne heure, mais depuis une semaine, l’excitation refusait son droit d’entrée à Morphée, « tss tss, pas de baskets, pas de dieu grec. »
Le ministère de l’émigration m’avait contacté : demain je serai conduit aux frontières de Jupiter. Comme tant d’autres. Depuis sept mois, la grande migration terrestre avait commencé. Les humains pouvant y participer étaient triés sur le volet : pas de casier judiciaire, pas d’addiction d’aucune sorte (la surconsommation de boissons alcoolisées ne rentrant heureusement pas en ligne de compte) et chacun se voyait confier ce qu’ils appelaient un couple « d’animaux totems » : dans ces grands vaisseaux spatiaux de Noé chargés du peuplement de Jupiter afin d’en faire une nouvelle Terre, chaque humain avait pour mission de prendre soin de deux animaux de sexe opposés. Chacun serait chargé de leur protection, et faillir à cette mission engendrait de sévères peines ; les humains avaient tant décimé la faune qu’il leur était maintenant donné l’opportunité de se « racheter » afin de recréer sur une autre planète un écosystème viable, ou humains et animaux vivraient en bonne entente, la superficie de Jupiter permettant la création d’immenses réserves protégées, chacune recréant à la perfection les habitats naturels terrestres de l’intégralité des espèces restantes. Sous un gigantesque dôme de verre, l’atmosphère était reconstituée, sans risque de trou de la couche d’ozone, ce qui me semblait être un excellent point de départ.
Mes animaux totems étaient bien entendu un couple de marmottes, dont je me devais de prendre bien soin, tant lors du voyage qu’après leur arrivée en terra incognita jupiteresque.

Bref, cette nuit là, je ne fermais pas l’oeil. Quand le téléphone se mit à sonner. Une voix de femme hystérique alternait sanglots, petits cris plaintifs et longs soupirs comme sur une partition de musique expérimentale. C’était Shayalimayangan, la femme que j’ai le plus aimé en ce monde. Ma Shaya, mon amour, pour qui j’avais décroché la lune à Bombay, dont j’avais rempli le corps d’étoiles à Alger, et qui m’avait laissé exsangue de sentiments dans un trou noir à Barcelonne. Shaya, enfin, qui m’appelait de Marseille. A vrai dire, j’aurais préféré dormir : cette femme là avait fait des confettis de mon coeur et je n’étais pas prêt à ressortir les langues de belle-mère.
- Soren, il faut que tu m’aides.
- Et merde.

Je fonçais à Marseille où je la retrouvais prostrée devant la mer dans une calanque. Quelques cigales insomniaques accompagnait les trémolos de ses sanglots et les basses de ses hauts le coeur. Défoncée à un cocktail de drogues et de médicaments dont je me refusais à faire le compte elle tenait encore son portable enduit de vomi dans sa fine main, la bague que je lui avait offerte au pouce, gluante de bile. Elle était loin ma fougueuse pouliche. Plus qu’une junkie, l’ombre d’elle-même sous un quartier de lune.
Son addiction l’avait doublement perdue : exemptée d’émigration, elle ne pouvait rien faire d’autre que de rester sur Terre en attendant que la chaleur écrasante, 60° en moyenne en France, ou qu’un cancer de la peau ait raison d’elle. Mais avec de la chance les drogues résoudront le problème avant.
Elle voulait juste que je fasse jouer mes relations, qu’elle puisse partir, tu sais Soren, je veux revivre, toi et moi on peut, tout serait comme avant, tu sais, quand tu m’aimais, tu m’aimes encore Soren ? Tu m’aimes ?
Alors je l’ai serrée dans mes bras, en caressant ses cheveux plein de sable, mes doigts s’emmêlant dans leurs noeuds de non-vie. Et je lui ai dit que oui, comme on berce une enfant. Je lui ai murmuré qu’elle est la plus belle au monde, que se perdre avec elle valait tous les sentiers tracés de l'univers, que je suis prêt à rester sur Terre avec elle, que les enfers d’ici valent tous les paradis si elle en est le Charon, que mon coeur battra toujours en écho à ses tempes qui palpitent, que je me damnerais pour elle sans un battement de cils.
Elle s’était endormie. Avec la respiration irrégulière qui répond aux drogues. Sur la Méditerranée ou ce qu’il en restait le soleil sortait de son lit pour annoncer la vie. Je l’ai laissée sur le sable et je suis parti. Je lui avais menti. Je ne l’aime plus, c’est fini.
Elle n’aurait pas dû croire que Jupiter était une solution : c’était une récompense.

Trois semaines après, ma vie s’organisait sur cette nouvelle planète. Dans quelques heures je partirai avec mes deux marmottes, repues et en pleine santé, pour les intégrer à leur nouvel habitat, de jolies montagnes verdoyantes que le gouvernement a nommé « les nouvelles Alpes ».
Je suis un peu en retard comme d’habitude et des milliers d’humains avec leurs animaux m’attendent pour relâcher qui leurs ours, qui leurs cerfs, qui leurs araignées, qui leurs rapaces. Le compte à rebours a commencé et tout le monde l’entonne avec exaltation comme au nouvel an. Les animaux sont fébriles, on dirait qu’ils savent ce qui va se passer.
À "trois", on pourrait presque sentir un long frisson sur leurs échines comme une ola.
À "deux" le temps semble s’arrêter.
À "un" ma marmotte femelle me lance un dernier regard.
À "zéro"... elle se jette sur son mâle et lui plante les dents dans la jugulaire qu’elle arrache dans un cri strident, le sang jaillit comme lors d’une exécution et elle recrache une touffe de poils et le tuyau de l’artère avant de se coller à moi comme pour me protéger. Je découvre enfin ce qui se passe alors que la marmotte mâle agonise en soubresauts amers au goût terreux de trahison : tous les humains se débattent et essayent de se protéger des attaques des animaux. Un rapace a déjà percé les yeux de mon voisin qui hurle à terre tandis que l’autre farfouille avec son bec acéré dans son entrejambe ; j’entends comme des plocs de myrtilles qu’on écrase. Les ours sabrent les carotides et les fémorales, les cerfs piétinent les cages thoraxiques, c’est l’apocalypse et je me sens entraîné vers un rocher et ma marmotte me fait entrer dans une grotte.
Le tumulte de la curie a cessé. Quelques râles persistent puis plus rien : ce sont en une minute des milliers d’humains qui gisent sur l’herbe rouge des Nouvelles Alpes.

Ma marmotte me regarde et me dit :
-
Tu sais ça fait longtemps que nous attendions notre revanche. Nous allons faire sur Jupiter ce que vous nous avez fait sur Terre. Mais moi je fais partie d’un mouvement humaniste de protection des hommes. Nous voulons garder quelques uns d’entre vous pour pouvoir vous montrer à notre progéniture.
- Mais tu es la seule marmotte maintenant, tu ne pourras pas te reproduire... ai-je rétorqué, abasourdi.
- Peut-être que si... Si tu m’aimes. Tu m’aimes ?

mercredi 4 juillet 2007

Schizo-?

Je m’apprêtais à ouvrir une bouteille de Pastis lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air quand j’ai entrebâillé ma tête, et laissé entrer… ?.

Alors voilà, sur une idée saugrenue de Mister L.C., je vous propose un petit jeu... Waouh, cool cool, vous dites vous, et vous n’auriez pas tort ;)
La règle du jeu est fastoche : vous écrivez des commentaires et moi après je dois créer le texte qui aurait dû donner lieu à ces commentaires.
Là vous vous dites, quelle grosse feignasse ! mais non non non, parce que j’ai dans l’idée que ça va pas être facile, et pitêt’ bien même que certains vont mesquinement essayer de me piéger ;)

Alors, vous jouez ?

samedi 30 juin 2007

Schizo-Xui

Je m’apprêtais à ouvrir la cage aux oiseaux lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air consciencieux quand j’ai entrebâillé ma tête, et laissé entrer… Xui.

Jour J – 3
Je travaille au bord du ruisseau, à l’ouest du palais dont les tuiles vernissées dorent au soleil leur jaune impérial. Je travaille au bord du ruisseau à ma dernière création. Le bois à force de ponçages méticuleux est devenu doux comme la joue veloutée d’un enfant endormi. Je travaille au bord du ruisseau où je rince mes outils et trempe mes doigts de pieds : les bulles gigotent entre eux et l’eau riante bondit par-dessus comme un singe des montagnes.
Dans quelques jours je gravirai les marches menant au palais et sous le regard des gardes, la main sur le pushou en serpent de mer, je pousserai solennellement la lourde porte, m’avancerai dans la salle aux murs de fleurs vernies, et comme dans une clairière au beau milieu des colonnes dorées je continuerai vers le trône, m’agenouillerai devant l’empereur, et lui offrirai la tête baissée son nouveau jouet.
Depuis huit ans je suis le créateur de jouets de l’empereur. Depuis sa naissance je mets ma créativité à son service, comme je la mettais avant au service de son père. Depuis ses plus tendres années ma seule mission est de le divertir. Si ce n’est pas la plus jolie mission du monde, d’offrir du bonheur à un enfant !
Je me souviens de tous, absolument tous les jouets que j’ai créés pour Cheng. Six par année, c’est la règle. En huit ans, quarante-huit ; mais c’est comme s’ils étaient plus de cent. Et je me souviens de tous, du plus petit au plus gros, du plus poétique au plus didactique, du plus précieux au plus ordinaire. J’ai mes préférés bien sûr, parmi tous ces petits bouts de moi...
Comme la machine en nacre qui fait de petits nuages de toutes les formes imaginables, en lapin, en poule, en dragon... et qui devait l’aider à rêver, à s’évader, comme si, en tailleur dans son trône, il était le magicien du ciel.
Comme la fleur de jade qui ne s'ouvrait que lorsqu’on lui disait quelque chose de vrai, pour lui apprendre la valeur de l’honnêteté.
Comme la poupée qui se réchauffait soudain au contact de l’eau salée. Comme le petit vélo qui chantait lorsque l’on pédalait. Comme le xylophone à parfums ou la couveuse à cocons de monarques.
Tous je les ai conçus des jours durant, dessinés des nuits entières, créés pendant des mois, puis polis, testés, réagencés, caressés, aimés.
Tous. Pour le bonheur de l’empereur. Parce que le sourire d’un enfant est la plus belle des récompenses.

Et depuis huit ans aussi je récupère de temps à autre des morceaux de mes joujoux par ci par là, qui fracassés sur un bixi, qui écrasés, qui brûlés, qui désossés à petite main nue.
La petite poupée qui le réconfortait quand il pleurait. Le xylophone qui recréait le parfum de sa défunte mère au son de do-ré-mi. Tous, un jour ou l’autre, cassés. Plus aucun papillon qui ne sort de la boîte pour s’envoler vers la vie en beauté éphémère.
Ah, les enfants sont si maladroits. Ah mais c'est tellement joli aussi d'être un enfant, on passe si vite d'une chose à une autre. Alors je récupère les morceaux, et puis c’est tout, c’est la vie. Et suis heureux malgré moi en imaginant que mes créations auront rempli leur mission et le coeur de l’empereur de joie.

Mais dans quelques jours ce sera différent. J’en trépigne d’impatience. Je m’inclinerai devant lui, genou à terre, et le parquet ciré que je regarderai reflètera pour qui veut bien le voir un de mes plus beaux sourires. Car je lui offrirai le jouet le plus merveilleux qui soit. Probablement le seul qui existe au monde. L’aboutissement de toute ma vie. Ma plus belle réussite. Dédiée à son plus grand bonheur.
J’essuie sur la mousse mes pieds que l’eau du ruisseau a rendus gourds et pose tout en enfilant mes chaussures de toile un regard redevable à cette nature qui ne cesse de m’inspirer. Ploc-ploc, fait le ruisseau.

Jour J
L’Empereur saisit son nouveau jouet. Il le regarde avec plaisir et me demande de sa petite voix flûtée :
- Qu’est-ce que c’est, Xui ? Un casse-tête ?
- C’est bien plus qu’un jouet, votre Majesté.
- Qu’est-ce alors ?
- Quand vous trouverez la solution du casse-tête, vous ne serez plus jamais triste votre Majesté. Ce jouet-là vous apportera le bonheur éternel.
- Voilà qui est intéressant Xui, et il me sourit avec malice.
Et je me suis retiré.
Quelques minutes plus tard alors que je descendais les marches du palais en me disant que grâce à moi Cheng serait l’enfant puis l’homme le plus heureux du monde, deux gardes m’attrapèrent.
- L’empereur veut te voir, Xui.

Les yeux de l’enfant étaient haineux. Son visage furibond. Ses poings tant serrés qu’ils en étaient bleus. Mon jouet gisait au pied du trône, sous la sandale pourpre de Cheng.
- Xui, ce jouet est incassable, dit-il la voix en couperet.
- Bien sûr votre Majesté, répondis-je. Je l’ai conçu ainsi. De peur qu’il ne se brise avant que vous ayez accédé au bonheur éternel.
Alors l’enfant empereur a rugi à ses gardes sans cesser de me fixer:
- Emmenez-le. Et demain aux premières lueurs du jour, tuez-le.
- Pourquoi ? ai-je osé demander.
Il a bien réfléchi avant de me donner sa réponse :
- Parce que.

Ce parce que là n’était pas celui d’un enfant mais celui d’un empereur.
Les gardes qui me tenaient les bras baissaient les yeux. Ils devaient bien savoir eux, qu’aucun de mes jouets n’avait assez vécu pour accomplir sa mission, et que l’enfant empereur les avait tous cassés avant même de les avoir essayés.
Ça me fait toujours sourire, de voir où les notions de puissance et de pouvoir se logent.

Mon successeur a sans doute déjà été désigné. Il commencera probablement demain. Peut-être travaillera-t-il lui aussi au bord du ruisseau. Peut-être y verra-t-il passer ma tête coupée. Des bulles d’air qui gigoteront autour et des petits jets d’eau qui bondiront comme des singes des montagnes. Et les ploc-ploc du ruisseau.

lundi 25 juin 2007

Schizo-Père Darieux

Je m’apprêtais à ouvrir l’opercule d’une bouteille de jus d’orange lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air religieux quand j’ai entrebâillé ma tête, et laissé entrer… Père Darieux.

Je n’entrerai plus jamais dans un confessionnal.
Avant je savourais ces moments de vérité et d’humilité, le calme de l’isoloir se remplissant de murmures et de pardon. Je traquais avec émotion la différence entre les pas entrants, lourds, pressés, et les pas sortant, plus légers, plus dansants. Je m’amusais à entendre les petites faiblesses humaines, les colères non maîtrisées et leur sincère regret, les adultères coupables et contrits, les mensonges des uns, les cachotteries des autres, le regret de tous. J’offrais en souriant du temps d’écoute à cette vieille femme qui semblait s’inventer des petits péchés, oh, infimes, juste pour parler. J'entendais les fervents qui culpabilisaient à chaque petit pas dans l’ornière, ceux qui faisaient une grande embardée mais désiraient ardemment retrouver le sentier balisé du Bien. L’enfant qui venait juste dans l’isoloir pour pouffer, balbutier « Mon père, j’ai péché... une truite » avant d’exploser en fou rire et ressortait en courant et en criant à ses copains sur les marches : « Ouais, j’lai fait ! J’suis sûr que toi t’es pas cap’ ! Pas cap’, pas cap’ ! »
Je n’ai jamais aimé ceux qui se confessaient en essayant toujours de s’excuser. Tentant par tous les moyens de minimiser leur péché, lui recherchant des circonstances atténuantes afin de le rendre plus innocent. Mais Dieu pardonnait si le repentir était sincère.
Et dans l’infirmerie du Christ, par mon intermédiaire, tous les malades qui le voulaient vraiment guérissaient.

Je savourais tous ces instants, conscient de l’importance de la mission qui m’avait été confiée. Jusqu’au jour où est entré un autre genre de pénitent.
- Mon père, j’ai péché.
- Je vous écoute mon fils.
- J’ai trompé la confiance d’une femme. J’ai laissé mourir ses enfants. Un par un. Sans même lever le petit doigt.
Avant même que j’ai pu ouvrir la bouche, la personne s’était enfuie.

Le jour suivant alors que je touchais le chêne de l’isoloir, la même personne s’est assise derrière la grille. J’aurais reconnu sa voix entre mille.
- Mon père j’ai péché.
- Je vous écoute mon fils.
- Aujourd’hui j’ai tué plusieurs innocents.
Et le confessionnal s’est soudain vidé. Alors que ma main se crispait sur mon chapelet.
Jour après jour j’apprenais de nouveaux crimes, de nouveaux abus de confiance, de nouveaux « j’ai laissé faire », d’inlassables « J’ai tué des gens qui n’était pas de la même confession que moi », « je bannis l'homosexualité », « j'empêche et maltraite certaines femmes d'avorter », « j'en lapide d'autres pour n'importe quelle raison», une succession infinie des pires péchés qui soient. Juste une énumération.
Et toujours la personne fuyait.

Il n’y a jamais eu la moindre once de repentir. Et je n’ai jamais eu le temps, ni l’occasion, ni même la volonté je le crois bien, de lui accorder le sacrement de pénitence et de réconciliation. Cette personne se foutait bien d’être pardonnée. Se refusait à toute contrition. Voulait juste que je sache. Ce qui confine à la torture : je suis tenu au secret.
Dieu dans son immense miséricorde pardonne à tous ceux qui montrent un sincère regret. Mais il n’y a jamais eu de regrets énoncés, pas la moindre émotion dans la voix.

Hier je tremblais en rejoignant le confessionnal. La porte à peine refermée j’entendis :
- Mon père j’ai péché.
Ça n’a jamais été autre chose, jamais « Pardonnez-moi, mon Père, parce que j’ai péché ». Non. Jamais.
- J’ai puni plusieurs milliers de personnes en leur ôtant la vie.
Je l’ai arrêté net. C’est un fou. Un mégalomane en puissance. Et un piètre menteur, ce qui m’a rassuré.
- Qui croyez vous donc être, pour punir les gens ?, ai-je ironisé.
- Qui croient-ils que je suis, pour penser que j’en ai le pouvoir ? entendis-je en réponse.
Qui croient-ils donc que je suis pour m’ériger en excuse à la haine ? A qui pensent-ils s’en remettre lorsqu’ils massacrent ? Qui croient-ils honorer par les pires des actions ? Par qui croient-ils être guidés lorsqu'ils commettent l'impensable?
- Qui êtes-vous ? murmurai-je
- Je suis une des folies des hommes.
- ... Mais, ai-je chuchoté plein d’espoir, vous êtes aussi amour... ?
- Mais... l’amour, c’est juste l’amour non ?

Et puis plus rien. La voix s’est tue. Je n’ai pas entendu de pas quitter le confessionnal en martelant les dalles, je n’en ai jamais entendu y entrer.
J’ai quitté l’église.
Un enfant s’est élancé vers moi, et tout essoufflé m’a dit : « je suis celui qui est venu dans votre confessionnal la semaine dernière, et j’ai fait cette blague... vous savez, pêcher une truite... »

Je lui ai demandé négligemment tout en continuant à marcher : « Et tu veux te confesser ? »
« Non, je voulais juste m’excuser auprès de vous. »

Demain, ma lettre arrivera au diocèse : adressée à l’évêque, elle stipulera juste que dorénavant, je mettrai ma foi en l’homme.

mardi 19 juin 2007

Schizo-Benjamin

Je m’apprêtais à ouvrir un annuaire téléphonique lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air talqué quand j’ai entrebâillé ma tête, et laissé entrer… Benjamin.

Je suis né il y a exactement vingt-et-une semaines et trois heures.
Je le sais parce que ça commence aujourd’hui. Parce que ça commence toujours à la vingt-et-unième semaine, et pile trois heures. Toujours. Depuis la nuit des temps. Dans une grotte ou dans un couffin de roseaux, dans un linge râpeux ou dans de la soie, dans un lit douillet ou dans le froid, seul ou dans des bras : pour chaque bébé, ça commence là.
Pour se finir... cela dépend de chacun. Le premier mot intelligible prononcé correspond à la fin à la mission, et par là même à son souvenir. Parfois les enfants se mettent à parler très tard : c’est qu’ils n’ont pas encore trouvé. Qu’ils cherchent encore. Qu’ils s’interrogent.
Chaque bébé a une réponse à trouver.
La mienne est de déterminer le poids des larmes.
Et en cela, sa valeur.

Une larme de joie a-t-elle plus de valeur qu’une larme d’impuissance. Un déluge de rage vaut-il moins qu’une pluie de rire. Combien pèsent les larmes que les humains versent lorsqu’ils dorment, sans même s’en rendre compte le matin, en attribuant à la fatigue les cernes qui leur pochent les yeux plus qu’aux lits creusés dans leur peau par des rivières salées. Y’a-t-il moins de sel dans une larme de souffrance que dans une de crocodile. La larme qu’on retient pèse-t-elle plus lourd que celle qu’on force.
Certaines allègent-elles plus le coeur que d’autres.
Je continuerai à gazouiller pendant des mois et des années s’il le faut. Je ne parlerai que lorsque je saurai.

Myriam la fille de la voisine a un an et onze mois et ne dit toujours pas un mot. Depuis seize mois et une semaine elle doit déterminer si les soucis se dissipent pour ceux qui le méritent. Ce que c’est qu’un souci. Et ce qu’est le mérite.
Moi je n’ai que des larmes à peser ; ça ne devrait pas être si compliqué.

J’ai commencé par regarder. Le vieil homme tout courbé dans la cage d’escalier, celui qui habite sous les combles : la source de ses larmes est tarie. C’est fini, il n’en a plus, comme si elles étaient comptées, un patrimoine de départ et puis c’est tout. Et dans son grand désert le soleil est tant de plomb que cet homme tout ridé dans son pardessus recousu ne peut plus lever la tête et fixe les marches qui ne le mènent nulle part. Je dévisage ma maman qui regarde la photo de mon père tous les soirs, qui en caresse le verre froid, qui pleure en silence et sourit à travers cette pluie en me regardant. Je me tourne vers ma grand-mère qui pleure quand on la quitte et repense à son fils. Son petit de trois ans, mais c’était la guerre. Il faisait froid dans les Flandres. Et la grippe était sans appel. Elle pleure sans pleurer. Comme un réflexe. Avant de se lever pour préparer des frites, qu’elle mange avec un steak.
Je vois cette fille qui pleure de rire dans le bus en se dandinant, faisant des claquettes sur cet instant, avec son amie qui rit aussi spasmodiquement comme pour l’éternité, puis elles descendent du bus.
Et plus je regarde les gens et plus l’humanité frappe à ma porte : tous, loin, près, en toutes circonstances, je les vois, je les entends, je les ressens pleurer ça m’emplit pendant mon sommeil ça me hante lorsque je bois au biberon j’y pense sans cesse je veux la solution.
Mais les mois passent. Je n’ai pas de balance . Je ne peux pas peser la différence.
Il semblerait bien que jamais je ne parle.
C’est pourtant simple : la masse d’une personne avant de pleurer et la masse d’une personne après. C’est mathématique. Et la différence entre une larme de telle nature et une de telle autre me permettra de faire une échelle de valeur.
C’est le chat qui m’a donné la solution, et elle était bien différente de celle que j’aurais imaginée : il s’est lové contre moi dans mon berceau en ronronnant. Je lui ai demandé s’il pleurait de temps à autres. Il m’a répondu non, les animaux ne pleurent pas. Pourquoi ?, ai-je demandé. Parce que nous n’avons pas d’autres buts que de vivre. En cela nous n’avons qu’à attendre que les jours passent.

Alors j’ai tout compris. Les larmes ne sont qu’un trop plein de vie. Elles pèsent pour chacun l’exact poids de ce trop plein. Aucune n’a plus de valeur qu’une autre : elles sont des petits bouts de coeur, d’espoir, de douleur, de bonheur qu’on disperse pour faire un peu de place et en accueillir d’autres. Elles sont le futur de chacun. Et chacun y met autant de poids qu'il en a besoin pour continuer.

J’aimerais pouvoir dire à ma maman tout ça, et pourquoi aussi les bébés pleurent parfois sans qu’on sache pourquoi : ils ont mangé , ils sont changés, mais ils pleurent parfois sans s’arrêter. C’est parce qu’ils cherchent une solution. Une réponse. Qu’ils ont une mission. Et qu’elle est importante. Alors ils cherchent en eux. Et pleurent pour faire de la place à la suite.
Mais les souvenirs commencent à s’effacer.
Bonne chance Myriam.
C’est flou dans ma tête.
Maman s’approche et je dis : « Chat !».