mardi 2 octobre 2007

Schizo-Roger

Je m’apprêtais à ouvrir un tube d'aspirine lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air iodé quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Roger.
Les marins sont secs. Rongés par le sel. Les muscles en récifs et des ravins sous les veines, le corps érodé par la mer et sa langue râpeuse comme celle d'une chèvre. La peau en écailles de soleil et les yeux en reflets, les iris comme des phares et les cils en corail.
Les marins sont secs. Et lui est comme tous, et dans ses veines c'est l'océan qui coule.
On ne sait plus qui du bout' ou de la main est en crins, et s'il fixe l'horizon ou si c'est l'horizon qui le regarde longuement comme pour le jauger, et qui l'appelle. Quand il rentre sur la terre ferme elle est mouvante et il tangue et se rattrape aux murs et son univers bascule jusqu'à ce qu'il reparte et que ses jambes enfin cessent de trembler sur les flots.
Maintenant c'est la nuit. C'est la nuit et il ne peut pas dormir parce que c'est la dernière. Après c'est la retraite. On ne veut plus de lui. Trop vieux. C'est la nuit et la mer n'est plus en berceau, et il regarde l'écume qui vole comme un crachat sur son visage. L'océan qui le renie. La rupture qui fait mal. Et l'avenir qui fuit. La dernière nuit et il ne veut pas qu'elle finisse, que le soleil pousse la lune et change les reflets blancs bleutés en dorures, que le bateau s'éveille et qu'il faille faire cap sur la ville. Et avoir les jambes qui flagellent. Le coeur qui dérive. Et chavirer.
Alors il a juré fidélité et puis il est monté dans le petit zodiaque qui dormait contre le flanc du bateau, la corde dénouée comme une caresse sur sa paume. Lui, le zodiaque, et le matériel pour une plongée. Il a lancé le moteur et rattrapé l'horizon, aux confins de l'essence du réservoir. Il a ajusté son gilet à la bouteille en regardant la surface aux vaguelettes de lune. Mis le détendeur en cherchant des yeux autre chose que l'océan mais il n'y avait rien d'autre; le manomètre affichait deux cents bar mais il ne le regarde pas ça n'a pas d'importance là où il va. Enfilé une partie de sa vie et ses palmes et son masque et ses poids. Et s'est laissé glissé dans l'eau. Puis il est tombé.
Et dessous il n'y avait que du noir et puis lui et sa torche sur rien ou plutôt sur tout.
Il tombe et il équilibre et il continue de se laisser tomber et d'équilibrer. Il attend l'ivresse mais elle ne vient pas. Il stabilise à cent mètres. Pourquoi ? Pour rien, comme ça. Et l'ivresse qui ne vient toujours pas. Il n'a pas fallu longtemps pour que son air se fasse rare, à chaque seconde il attend la dernière bouffée, ça va faire comme un vide, une plainte et après ça va commencer.
Dans la lumière de sa torche quelques yeux brillent, aux premières loges.
C'est le moment. Et il commence à avoir mal et ses yeux se révulsent et il veut remonter et il hurle et panique et il n'y a rien de pire et il crache son embout buccal et prend une grande bouffée d'eau comme une goulée de mort et il n'a jamais rien connu d'aussi horrible c'est comme si, c'est comme si... rien, c'est comme rien d'imaginable mais pourvu que ca finisse et quelque chose le pousse c'est monstrueux et lui tire l'épaule "Papy" et puis encore "Papy...??" avec plus d'insistance et deux mirettes brunes comme la terre apparaissent devant lui comme une bouée.

- Papy, tu viens à la plage avec nous ?
- Laisse le finir sa sieste ma puce, tu sais bien que Papy n'aime pas l'eau... Le seul de la famille, si c'est pas bizarre !
- C'est pourtant si joli...

Les marins sont secs. Rongés par le sel. Les muscles en récifs et des ravins sous les veines et dedans y'a l'océan qui coule... L'océan, pas la frousse.

16 commentaires:

Anonyme a dit…

Décidément, je suis une inconditionnelle ! Mais quel talent ! J'attends chaque texte avec impatience et à chaque fois, c'est pareil : j'ai ce petit sourire plein d'admiration...
Ecrire, décrire le mal de terre. Il fallait y penser !
L'homme et sa mer, cet amour inconditionnel qui doit bien commencer dans l'univers ouaté du liquide amniotique.
J'ai adoré. MERCI !

Anonyme a dit…

J'oubliais ! Fais de doux rêves parce qu'à cette heure-ci tu dois être en compagnie de Morphée.
Gros bisous !

Anonyme a dit…

Avant que quelqu'un d'autre le dise, je voudrais préciser que les marins ne sont pas les seuls. Les soucis sont secs, aussi. Ah ah ah. Ah ah. Ah.(Tu sais bien que j'aime pas trop écrire des commentaires d'admiration mielleuse)

Anonyme a dit…

[BLOP]

je reste muette comme une carpe, d'admiration...

;-)

Anonyme a dit…

Coquine! je pensais retrouver celle qui avait des bosses sous les doigts et je me tape un tour dans l'océan sec! Mais il fait aussi noir profond chez les deux. Bise à toi.

Anonyme a dit…

Une belle déferlante en pleine poire.
Splendide

Anonyme a dit…

ha oui, pas mieux :)

Anonyme a dit…

Comme d'hab, t'es presque énervante de talentitude :)

Anonyme a dit…

Ha ben tiens, t'as retrouvé tes accents, tes apostrophes et tes points à la ligne on dirait ;-)

Schizozote a dit…

Plum', tu as touché du doigt un point noir de ma vie (heureusement y'a biactol) : il est grand temps que je cesse de dormir avec Morphée... cette sombre époque se termine aujourd'hui, youpi tralala !

STV, je dis "banco"

Miss Tortue, tu sais que je vois deux ou trois de tes congénères marines à chaque plongée ?

Polly, Polly, c'est la mouise, impossible de laisser un commentaire chez toi, tous ceux (très élogieux) que j'écris disparaissent, c'est une catastrophe :(((

Arpenteur, merci beaucoup, mais t'avais mis ton ciré j'espère ? ;)

Abs, tu me rappelles les Chiffres et les Lettres polonaises des Nuls... hé hé, je vais foncer sur le net pour le remater !

Miette de savane, juste presque hein ? ;)

Jolie fée, voui voui, pour faire é c'est alt130, è c'est alt138, à alt133 etc, c'est la vraie marrade d'écrire !!!

Anonyme a dit…

J'aime ! Au point que je ne vois rien à ajouter...

Anonyme a dit…

Comment ça tes com. disparaissent! J'en ai eu 3 et j'ai répondu! ben ça alors! Y-a pas que Roger pour voir du noir!
Je reviens tous les soirs, j'attends et espère la suite.
bise à toi.

Anonyme a dit…

Dis-donc? t'en a pas marre qu'on te fasse des compliments? Non? Bon ben allons-y alors : Quel talent, putain, quel talent !

Anonyme a dit…

Han moi je croyais que c'était les raisins qui étaient secs.

C'est incroyable hein ! Je surfe innocemment comme ça sur le Internet et d'un seul coup, c'est tout un pan des mes croyances qui s'écroule.

Anonyme a dit…

C'est a couper le souffle!
Daniel Paillé

Madame Poppins a dit…

Le seul hic (et c'est bien pour faire ma "je connais et je ramène ma fraise"), c'est que l'air devient toxique vers 60-70 m. : y peut pas stabiliser à 100m avec de l'air....

Comme d'habitude, j'aime ! Et surtout, j'en redemande ! Parce qu'au contraire de STV, j'adore dire quand je suis fan !

Bises,