jeudi 26 avril 2007

Schizo-Séverine

Je m’apprêtais à ouvrir un livre lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un tout petit courant d’air quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Séverine.

J’ai lu dans ses yeux que ça allait commencer : il les avait flous comme ceux d’un mérou sur la glace du poissonnier; il les avait torves et cruels comme ceux d’un mal-aimé; étincelants d’une fièvre hargneuse; et sombres comme des caveaux sur son visage livide.
Denis quand il boit ne rougit pas, il se vide de son sang. Qui doit bouillir dans ses poings.

J’ai fermé doucement la porte de la chambre des petits lorsqu’il claquait derrière lui celle de l’entrée, après être resté un bon moment dans l’encoignure, sur ses jambes arquées, comme un John Wayne titubant, à jauger une situation qu’il va lui même créer.
Je l’épie et tâche de faire le moins de bruit possible quand je débarrasse la table du dîner, il reste un peu de purée dans l’assiette du grand, et je lèche mon pouce quand je la pose dans l’évier.
J’ai commencé par percuter le frigidaire et m’effondrer, les jambes en guimauve et la pommette en pleurs rouges. Je me suis appuyée sur le plan de travail en formica que je n’avais même pas fini d’essuyer pour me relever, et redégringolé quelquepart dans le salon. J’ai voulu rester à terre. Et puis j’ai vu la tête de mon pitchoune pointer comme une petite marmotte à la porte de la chambre, alors je lui ai souri, et d’un regard rassurant je l’ai enjoint à regagner son lit en défroissant ma jupe et en me relevant comme si de rien n’était. Mais je suis vite retombée alors que Denis, sa besogne accomplie, se dirigeait vers notre chambre en se frottant le poing droit. Je suis restée là, combien de temps ? Le temps ne comptait plus, le temps était calme, je reprenais des forces.

Puis il y eu comme un flash et un homme s’est approché en volant plus ou moins et m’a proposé de faire un choix. Celui de tout recommencer à zéro. Oui, il en avait le pouvoir. Celui de revenir au moment de ma rencontre avec Denis, et de passer mon chemin. Celui de changer ma vie entière.
Ou alors celui de refaire ma vie loin, avec les p’tits, dans une ville agréable. J’ai instantanément su qu’il était hors de question que je laisse mes bouts d’choux. J’ai dit oui pour l’autre vie, celle toute jolie là-bas, avec tous ces tristes souvenirs pour nous mais l’espoir qu’ils s’effaceront. Bon, il faudra que je retrouve un travail, les p’tits devront se faire de nouveaux copains, mais tiens, ils seront peut-être dans une belle école toute colorée, avec des fleurs ? Il m’a répondu oui, la plus belle école dont vous puissiez rêver. J’ai dit oui, oui, oui, comme si je ne pouvais plus m'arrêter. Il m’a dit : réfléchis bien. Parce que ce choix-ci a un léger hic : dans 18 ans, Denis te retrouvera et il te tuera. Ils sont toujours aussi foireux les choix proposés par des hommes volants? Mais j’ai fait un calcul : Mathieu aurait alors 26 ans et Gabriel 23. Ils pourront surmonter ça.
Il est hors de question que mes deux enfants ne viennent jamais au monde, que personne n’ait la chance de les connaître ce sont de tellement bons petits, que jamais ils ne prennent ma main, que jamais je ne ramène les draps sous leur menton en les regardant dormir, que jamais je ne berce leur fièvre, que jamais Mathieu n’arbore un sourire de vainqueur en m’offant un pot de yaourt décoré avec des nouilles, dont une qui se décolle pathétiquement, ou que jamais Gabriel ne me ramène ce petit oiseau tombé du nid “maman, on va le sauver hein ?”, en fermant tout doucement sa main pour le réchauffer... Et en même temps quelle enfance auront-ils eu, à entendre la rage hurler et à voir les bleus de leur maman plus souvent qu’un calin de leur père, à fermer leurs petits poings la nuit pour se défendre contre les cauchemars, à pleurer sans que la maîtresse comprenne vraiment pourquoi.

Mais le flash vacille et s’éteint comme une chandelle et l’homme s’éloigne toujours plus ou moins en volant et il refait tout noir avant que j’aie pû prendre une décision. Il doit être temps de se réveiller. Allez, temps d’ouvrir les yeux.
Cette fois-ci je vais porter plainte.
Ouvrir les yeux. Et mettre un pull, il fait froid.
Oui, porter plainte et ce sera fini.
Ouvrir les yeux d’abord.
Pourquoi ils ne s’ouvrent pas ?

lundi 16 avril 2007

Schizo-Dr Brevier

Je m’apprêtais à ouvrir les persiennes lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air aseptisé quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Dr Brevier.

- “Lavande ? C’est étrange comme prénom”, dit avec la voix guillerette d’une guillotine le chef du service de psychiatrie.
- “Appelez-moi Docteur Brevier”, répondis-je avec autant d’entrain.
- “Et bien, Doc, bienvenue. Emma va vous montrer l’établissement. Je vous saurais gré de vous attarder un peu sur ce cas sur lequel on bute depuis deux mois, vous n’avez pas pu manquer ce patient en arrivant, c’est le rouquin à la bobine de hobbit qui bat ses coudes comme pour s’envoler en faisant cot cot cot. J’attends votre diagnostic. Et ne revenez-pas avec pour seule analyse une désynchronisation épipho-catatonique, c’est évident qu’il lui manque le symptôme de l’introversion chronique scandatoire, plutôt rédhibitoire, ha ha, vous en conviendrez. Allez hop, au boulot !”

Après quelques pas dans les couloirs avec Emma, j’invite notre ami gallinacé à répondre à quelques unes de mes questions. Il semblerait qu’entre ses battements de bras et ses pets qu’il égrène comme des fientes, il ne puisse caqueter que “Coupez moi la tête, alouette, et je volerai quand même !” en ébouriffant les poils de son aisselle avec son nez tordu.
- “Il a été trouvé comme ça, en pleine campagne... Après quelques tours dans les villages alentours, personne n’a pu l’identifier. Pourtant, il a l’accent du coin” me dit Emma avec le sien qu’on couperait bien au couteau parce qu’il est plein comme un bon gateau.
- “Bon”, dis-je en prenant mon manteau qui mériterait qu’on le recouse.
Emma me court après à petits pas... “Vous allez où?... c’est l’heure de déjeuner il est midi...” “Je suis une psychiatre de terrain moi, pas de cafétéria... Vous venez avec moi Emma, je vous offre une petite prune...”

J’ai demandé à Emma quel était le petit troquet favori de tous les villages et lieux dits des alentours. On s’est assises à une petite table dans un coin. Emma a siroté sa prune, et raconté sa vie pendant que je tendais l’oreille. Pas bien longtemps.
- "T’as vu Guitoune et Gégé ?" a demandé un gros homme aux mains de géants.
- "Nan."
- "Ha ha, z’ont rencart avec une poule ???"
- "Tais-toi va, c’est pas des trucs pour rigoler."
Dling dling... la cloche de la vieille porte d’entrée résonne : le gros range ses mains de géant dans ses poches tandis que le petit allume nerveusement son clope. Deux hommes entrent comme des ombres et s’accoudent au comptoir comme des vautours.

Quand nous retournons à la voiture le petit me rattrappe avec son mégot :
- “J’vous ai vu tantôt à l’hosto, vous êtes toubib ?” me demande-t-il en roulant des yeux.
Je réponds “Oui, c’est mal ?” et il dit “Non, tant mieux, je venais aux nouvelles...”

- “Pourquoi êtes-vous parti... de l'hôpital ?
- “J’suis pas trop à l’aise... Il va r’dev’nir normal, enfin, comme avant le p’tit Pierrot ?”
- “Je ne sais pas. Vous aimeriez ?”
- “Ben c’t’un bon gars.” s’écoute-t-il dire en baissant les yeux.
- “Vous habitez-loin? Non? parce que voyez-vous, Emma que voilà et moi, on n’serait pas contre une p’tite prune, hein Emma, ou un p’tit ratafia... Vous avez ça ?”
- “Ben v’nez toujours, on va regarder...”
Et une fois qu’il a ouvert sa porte il n’a plus fermé sa bouche.

L’histoire est la suivante.
C’était un de ces soirs au troquet où les coeurs des hommes s’ennuyaient tandis que les arbres au dehors battaient au vent comme des fouets. Guitoune et Gégé refaisaient un monde de merde alors que Pierrot les écoutait dans son coin, le p’tit Pierrot avec son sourire, l’fiston du grand Nanard qu’avait les vignes. Pas très futé l’Pierrot, mais n’a quand même écopé des vignes à la mort de son père. C’est l’patron de Guitoune maintenant. Enfin, on ne sait pas très bien qui va reprendre les rênes, mainteant que le p'tiot est complètement zinzin... Bref, toujours est-il que ce soir là, Pierrot était sur son trente-et-un, la mèche bien de côté et les ongles tout propres.
- “Ben l’Pierrot, tu brilles, qu’est k’t’arrives?
Et Pierrot a rougi de plaisir en répondant à Guitoune “J’ai rendez-vous avec une dame.”
- “T’as rendez-vous avec une dame ? Ha ha, l’Pierrot, z’avez entendu ?? Une dâââme ! Hé hé, une poule, nôt’ Pierrot a rencart avec une poule ! he he, tu nous l’amènes, on va la faire chanter nous !!”
- “Bonsoir”, a dit Pierrot, et il est parti.
Et puis Guitoune et Gégé ont continué à se foutre de Pierrot l’dégénéré, qu’a une case en moins, moitié neuneu, moitié humain.

Et ce type qui me parle là, devant un ratafia, à la fermeture du p'tit troquet il a suivi le Gégé et l’Guitoune. Il les a vu s’approcher de la maison du père de Pierrot. Il les a vu regarder Pierrot et son amie dans la maison, au coin du feu, à se sourire. C’était Julie la fille de la boulangère, et ses douces joues roses. Pas des flèches ces deux là mais des lances de tendresse dans les yeux.
Il les a vu entrer dans la maison, il les a vu jeter Pierrot par terre, empoigner la p’tite Julie par les cheveux comme des campagnols dans leurs serres de rapaces, crier “Alors, c’est elle la poule?!!”, hurler “Nous aussi on aime les poules, allez, chante chante, j’suis ton coq haaaaa!”.

Le type qui me parle peint à la brosse ce tableau de violence, Pierrot qui pleure et qui se tord par terre sans comprendre, et Guitoune qui viole et claque et les bleus et les plaies partout sur la fille et les yeux de Gégé qui lancent des éclairs troubles de mauvais vin quand tous les deux ils mettent la petite en sang sur l’appuie-fenêtre et “Vas-y la poule allez, bats des ailles !! allez !!! sauve ta peau bats des ailes envole toiiii” et la p’tite traumatisée qui bat ses bras comme si ça allait la sauver.

Emma ne boit plus son ratafia depuis longtemps.
Le vieux qui parle a des poches de larmes et de regrets sous les yeux.
Le Gégé et le Guitoune l’ont enterrée dans les bois, pendant que Pierrot avait quitté ce monde et se faisait dessus en criant.
“Vers 4 heures du matin, j’lai ai vus revenir mettre le Pierrot dans la voiture, ils l’ont laissé dans la campagne.” Le type qui nous dit ça n’a plus de salive.
Je lui demande “Et le reste du village n’a rien entendu? Et aux alentours personne n’a reconnu Pierrot sur les photos?”
Il baisse les yeux et les perd dans l’enfer qu’il s’est ouvert.

Quand j’ai poussé les portes du service psychiatrique j’entendais des sirènes de police au loin, dans le brouillard et les non-dits des champs, dans les courants d’air silencieux des foyers et de leurs bouches cousues.
Je suis allée voir Pierrot et en m’agenouillant devant lui, je lui ai dit :
- “Pierrot ?”
- “Coupez moi la tête, alouette, et je volerai quand même ! Coupez-moi la tête, alouette, ....”
- “Tu sais bien que tu ne voleras pas. Julie elle non plus ne pouvait pas voler. Tu sais pourquoi ?”
Il s’est arrêté de battre des coudes à l’évocation de Julie. Il me lance un ragard interrogateur.
- “ Parce que tu n’es pas une poule.”
- Il me dit : “Je sais. Et Julie non plus. Et de toute manière les poules ne volent pas loin.”
Je lui dis oui, tu as raison.

Le chef du service de psychiatrie s’approche de nous alors que j’emmène Pierrot s’assoir un peu à l’écart, et me glisse à l’oreille :
- “Alors, comment ça va dans le poulailler ?”
- “Demandez aux renards.”

samedi 14 avril 2007

Schizo-Sandra

Je m’apprêtais à ouvrir la grille du vieil ascenseur lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air trop calme quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Sandra.

Aujourd’hui c’est le grand jour ! Je me suis imaginée la cérémonie des centaines de fois mais c’est vrai qu’on n’est pas à l’abri d’une petite surprise par ci par là, c’est la vie, c’est comme ça.
Ma coiffeuse-maquilleuse positionne merveilleusement mes cheveux, et cale d’un doigt professionnel une jolie mèche d'un blond doré sur ma tempe pour finir en boucle sous mon menton . Elle m’a maquillée simplement, juste un peu de rose sur les joues, une touche de gloss sur mes lèvres et un peu de parme sur mes paupières. Simplicité et pureté, de toute manière je vais déjà être au centre de l’attention, je ne voulais pas en rajouter. Un léger parfum floral et hop, je vais pouvoir me glisser dans du satin blanc.
Je suis un peu inquiète je n’ai pas envoyé moi-même les invitations j’espère que mes parents n’ont pas fait d’impairs et que personne n’ira jouer les trouble-fête je veux vraiment que tout soit im-pe-ccable.
Monique me dit en me faisant une rapide manucure “Et bien dis-donc, tu t’en es rongé des ongles ma belle ces derniers temps !”.
Oui, c’est vrai que j’ai été un peu stressée, qui ne le serait pas, mais dans l’histoire j’ai perdu quelques kilos et enfin retrouvé ma taille de guêpe, bref, je me sens au top.

Dans quelques heures ça va commencer. Maman s’approche de moi et félicite Monique en caressant mon front “Vous avez été parfaite, elle est très belle...” et sa phrase se finit en un petit hoquet et elle quitte la pièce avec une émotion mal contenue. Papa aussi probablement sera très ému, je l’imagine même pleurer un peu, pas trop, mais vous savez, c’est quand même de sa fifille qu’il s’agit. Il ne pourra pas s’empêcher de continuer à me voir comme une enfant c’est fou ça et à se souvenir de mes petites guiboles sur ses épaules et comme je m’accrochais à son cou, ou le premier jour d’école ou quand j’ai eu mon bac.

La pièce est remplie de fleurs. C’est un peu gâché finalement parce qu’ils ne pourront pas toutes les ramener à la maison, mais bon, tant pis, c’est le destin des fleurs de rendre juste un instant le monde joli.
Le discours du prêtre est très bien, ça parle de nouvelle vie et tout, du classique. Mais bien. C’est mon frère qui est revenu exprès de Los Angelès qui s’approche du micro pour son oraison à sa soeurette :
“Elle n’en a toujours fait qu’à sa tête”, commence-t-il en soupirant, puis il s’arrête et avale sa salive, on dirait qu’elle est un bloc de pierre tellement ça fait du bruit.
“Elle n’en a toujours fait qu’à sa tête (je ris, c’est bien vrai), elle a toujours clamé que le choix est un droit (vrai aussi), j’ai toujours respecté les siens (ouais euh, tu mens un chouille là, je me rappelle bien que tu m’avais interdit de partir à moto avec “ce loubard qui s’drogue, Sandra, regarde moi bien : tu n’iras pas”) mais là... là... je... c’est au-dessus de mes forces je ne te pardonnerai jamais d’avoir fait celui-là” (quoi ???? Qu’est-ce qu’il dit là ???).
Il s’accroche au pupitre et regarde bien plus loin que la salle et les gens et continue alors que mon père s’approche de lui.
“Jamais”, répète-t-il alors que l’assemblée commence à gesticuler. C’est le problème du jet-lag probablement, il a intérêt à se reprendre parce que là, ça craint, il gâche mon moment.
“T’es qu’une sale petite égoïste de merde Sandra, tu le sais ça ?” Mon père le prend dans ses bras mais il le repousse et continue en pleurant : “Je regrette de t’aimer. Et papa et maman ne s’en remettront jamais. Voilà ce que tu as fait.”.
Le prêtre rattrape un peu le coup mais je fais moins la maligne quand un par un les gens suivent mon père et ma mère (mon frère a quitté la chapelle) et s’approchent de mon cercueil ouvert.

Je me demande si en définitive je n’ai pas fait une boulette.

jeudi 12 avril 2007

Schizo-Nounours

Je m’apprêtais à ouvrir une boîte de haricots filandreux en conserve lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air calin quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Nounours.

Certains pensent que j’ai un poil dans la main à rester au lit toute la journée mais faut pas croire, l’attente, c’est un boulot à plein temps.
Et puis je ne suis plus le fringant ours en peluche d’avant qui faisait de la voltige sur le dos du chien, qui dansait comme un p’tit fou sur une musique des Forbans et qui draguait Barbie “ouh, que vous êtes zolie Madame” “Vous aussi Môssieur Nounours, vous me plaisez bien plus que Ken” (comme quoi les enfants s’attachent plus à la beauté intérieure qu’aux sourires de winners et aux cabriolets), ce temps là est bien fini, et je ne suis pas mécontent d’avoir un peu de répit.
Quand j’ai quitté mes frères jumeaux et mon étagère de chez Joujou©, je me suis lancé à corps perdu dans 15 années d’amour comme on part à la guerre. En attendant les blessures.
Aujourd’hui je ne compte plus les cicatrices : oreille gauche, papatte gauche, un oeil en moins, museau, dos, ventre, et même une sous ma petite queue.
Aujourd’hui, en vétéran, j’attends ma pension de tendresse.

Alors ce matin quand elle m’a sorti du lit et jeté dessous, en poussant du pied ma patte qui dépassait, je me suis dit y’a plus d’respect.

Et quand tout à l'heure j’ai entendu en écho de son petit rire flûté un rire masculin, je m’suis dit ça y’est, j’suis bon pour le grenier.

Et quand un caleçon a atterri à coté de moi, j’ai eu envie de crier “mais non, grandis pas trop vite!”. Mais ma voix n’aurait pas porté assez loin dans son monde parallèle, elle était hors du temps. Les humains ont cette chance là de gagner parfois quelques secondes d’éternité. Je sais cela parce que nous les nounours sommes omniscients.

Alors j’ai mis ces quelques minutes à profit pour revoir en flash le film de ma vie, du berceau où je veillais sur son sommeil à ses larmes sur moi quand elle me chuchotait “il est trop con mon père, on va partir très loin toi et moi, na”. Et quand elle me cachait sous son manteau pour m’emmener à l’école, ni vu ni connu j’t’embrouille maman “Aurore, sort Nounours de ton anorak” “ Nounours ???”. Et quand elle me lançait de rage contre le mur et puis courait me relever et me prendre dans ses bras “pardon pardon, j’suis qu’une méchante”.
Et quand sa joue était toute douce et qu’une mèche de ses cheveux me chatouillait le museau.
Quand elle rêvait et me serrait plus fort en s’accrochant à moi.

Je suis sous le lit à attendre qu’il parte.
Je suis sous le lit à attendre qu’elle m’y oublie.
Je ne partagerai pas ses quinze prochaines années. Elle n’a plus besoin de moi.

Mais ouh là là, qu’est-ce qu’elle fait là, elle me prend ???
Elle m’assied sur ses genoux ???
Ouh elle va me dire quelquechose elle va me dire “désolée, terminus Nounours” elle va me dire “c’est la vie, c’est comme ça” elle va me dire “j’y peux rien j’suis une grande maintenant” elle va me dire “adieu.” Adieu et puis c’est tout.

“Nounours, si t’étais un homme, j’suis sûre que tu aurais une plus grosse bite que Nathan. Quel louzeuuuur !”

Et on s’est endormi. Elle, moi, ses bras dans mes pattes et ma tête sous sa joue, et je crois bien que ma petite cicatrice à l’oreille souriait.

lundi 9 avril 2007

Schizo-Lulu

Je m’apprêtais à ouvrir les yeux lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air marin quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Lulu.

Je suis sur cette falaise et les cendres que je disperse résonnent dans l’air comme des rires d'avant. Tous ces petits bouts de carbone qui s’envolent je les suis du regard dans le vent et à mesure qu’ils volent plus loin mes souvenirs eux reviennent plus près : ses mains potelées qui déchirent le papier brillant à son troisième Noël, le bolduc dans ses cheveux comme une couronne et son sourire comme un roi, ou quand il m’offrait en vrac tout son train électrique “ Tiens, prends-le, comme ça tu ne pleureras plus ” après que papa m’a administré la fessée de ma vie pour lui avoir dit “ T’es con.”
Je me perds dans cette douceur oubliée de fraternité, me souviens quand je le protégeais, il était alors en 6ème “ Tu touches à mon frère je vais te faire regretter d’être né avec des couilles ”, le genre de phrase qui claque comme une giffle de la part d’un gros dur de 3ème. Personne ne touchait à mon frère. Personne.
Les capotes qu’il me volait plus tard, “prends-en plus”, et je lui en refilais trois avec un clin d’oeil. Les “ T’inquiètes, ça restera entre nous ”. Les “ Putain tu fais chier ”.
Et puis quand la police a appelé. C’est malheureux de mourir à 24 ans.
Il n’y a plus de cendres dans l’urne, et je quitte la falaise en laissant aux poissons le droit de nager dans mes souvenirs.

Une promeneuse s’approche de moi, elle est grande dans son pull a grosses mailles, le vent fouette, et je découvrirai qu’elle est plus jeune qu’elle n’en a l’air, que c’est la vie qui a courbé ses épaules et terni ses yeux. Elle m’invite à prendre une tasse de café si je veux, elle habite juste en bas, si ça me fait plaisir on pourra parler, ou seulement boire un café ? Bien sûr j’accepte et derrière le voile de la tasse fumante je m’épanche un peu, je parle de mon frangin, quand même il était con, les concours de gobage de Flamby ou de branlette, oh pardon !
Elle me dit qu’elle a perdu son fils. J’ai hâte de rentrer chez moi, pas envie de m’extraire de mes souvenirs.
Je la quitte en pensant au masque du Clochard de Disney qu’il portait au carnaval, et au poisson rouge qu’il a “pêché” à la kermesse”. “ Mais? les poissons, ils ne peuvent pas vivre dans la sciure??” “ T’es bête ! Allez, lance ta canne et essaie d’attraper le p’tit crochet là !” “ Jeune homme vous avez gagné un poisson rouge. Choisissez celui que vous voulez.” “ Waaaah, j’veux c’ui là, qu’a la nageoire cassée! ”

Demain je ne sais pas ou j’irai, je prendrai le ferry peut-être, et j’irai déverser les cendres de ma mère dans la baie. Elle aura eu une longue agonie mais d’un filet de voix sous oxygène elle m’aura quand même chuchoté “sois heureux, tu es la meilleure chose qui me soit arrivé.” avant que les battements de son coeur ne fassent plus qu’une ligne droite sur l’écran.

La semaine prochaine je remplirai à nouveau l’urne. Cette fois-ci, ce sera mon paternel. Un homme rude mais le fond du coeur dans de la barbe à papa. Peut-être que quelqu’un me proposera un café, qui sait?

Moi je n’ai pas de famille, je n’en ai jamais eu.
Alors ça me fait du bien parfois d’avoir une vie à penser, à pleurer. J'triche pas, je crée.
Eh, j'avais pas une soeur aussi des fois ? Si, et c'était ma jumelle...

samedi 7 avril 2007

Schizo-John

Je m’apprêtais à ouvrir le pot de confiture lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air d’avant quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… John.

Quand j’avais six ans, Père m’a surpris dans la grange avec ces huit chatons qu’une vieille chatte avait mis au monde et puis elle était morte.
“Je vais leur chercher du lait, Père”
“Bien sûr que non. Tu vas faire ton premier geste d’homme.”
J’ai pleuré en jetant un par un leurs petits corps sur le mur en pierre. À celui qui bougeait encore, je n’avais pas dû le lancer assez fort, mon père a écrasé la tête avec sa botte en cuir. Après j’ai nettoyé, “ça va attirer la vermine” avait dit Père en partant.

Quand j’ai eu treize ans il y a eu cette jument de trait qu’un tendon enflé faisait boiter. Elle n’était plus toute jeune et peinait lors du labour. Salomon, l’homme qui la dirigeait, avait une tendresse particulière pour elle et quand Père les regardait tous les deux, Salomon poussait un peu plus pour aider la jument baie, pour qu’elle boîte moins, pour que Père n’ait pas à me tendre le fusil un soir. Du repos, et quelques cataplasmes, c’est tout ce qui lui fallait. Ce soir-là le soleil qui se couchait sur la Louisiane a sali les nuages d’un rouge sang.
Quand Père une main sur l’épaule m’a dit “ Bien. Voilà ce qu’un homme doit faire.”, je regardais le champ où le maïs bientôt pousserait grace à elle, et grace à Salomon qui s’éloignait en pleurant, les épaules courbées comme si elles allaient choir.

Quand j’avais quinze ans Père m’a fait venir avec lui au village nègre. Le soleil était levé et ce vieil homme restait couché, il tremblait de fièvre. Il aurait déjà dû être à la plantation.
“Conduis-toi en homme” m’a dit mon père en me tendant le fouet.
Je l’ai fouetté le moins fort possible mais avec de grands gestes pour que mon père ne s’aperçoive de rien et ne décide pas de finir le travail à ma place. Le moins fort possible mais quand il s’est dirigé vers le champ de coton en titubant, du sang perlait sous sa chemise sale. Père a sourit de fierté en me regardant.

A vingt ans je me suis aussi conduit en homme. Et puis après, toujours en homme. Dans l’immense demeure de Père, je buvais du Whisky avec des hommes, je riais avec des hommes.
“ Que ce serait beau la Louisiane sans tous ces nègres !”
“ Ha ha, quand même, s’il n’y avait pas les nègres, qui cultiverait nos champs ??”
“Ha ha ! passe-moi la bouteille Bill.”

A vingt-cinq ans j’étais à la gin-house pour peser les paniers de coton des esclaves. En théorie en dessous du poids il y avait sanction. Je trichais en notant la pesée sur le carnet et les hommes et les femmes arrêtaient de trembler et leurs yeux se baissaient, ces yeux-là n’avaient plus la force de dire merci. Je les regardais s’en retourner vers le village quand j’ai entendu des cris. Je me suis précipité et j’ai vu cette petite fille qui hurlait, protégée par les bras de sa mère. Un homme, le visage en sang, regardait mon père à terre, le poing tuméfié, qui s’était ridiculement coincé la cheville dans un trou du chemin. Il était rouge de rage et en sueur de haine. Son fusil était quelques mètres plus loin, il l’avait perdu lors de sa chute. Père m’a regardé et m’a dit “Prends le fusil Fils”.
Alors j’ai pris le fusil.
Posé le doigt sur la détente.
Regardé l’homme, sa femme et la petite fille.
Et visé Père.

Il pleurait de surprise et son pantalon s’est souillé, j’ai senti cette odeur ammoniaquée de la peur et je lui ai dit “Conduis-toi en homme Père”.


mercredi 4 avril 2007

Schizo-Jeanne

Je m’apprêtais à ouvrir les rideaux lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air chlorophyllé quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Jeanne.

Quand j’ai vu qu’il était là, je n’ai pas laissé mon coeur bondir, mes épaules se rentrer et mon regard se baisser comme si les fientes de pigeons sur l’asphalte étaient les plus passionnantes du monde. Non, cette fois-ci, je me suis dit, j’ai 14 ans, je suis une femme maintenant et plus rien ne me fait peur (si, un peu les araignées quand même, et les gros chiens, mais surtout pas les mecs). Je suis Jeanne, la tigresse mangeuse d’hommes. Quand je vais raconter ça aux copines…!
Alors j’ai cambré les reins, sorti mes p’tits seins, dégainé mon regard de braise, et je me suis approchée, en le regardant droit dans les yeux, j'ai amorcé un sourire maîtrisé, bouche fermée pour qu’il ne voit pas mes bagues, en plus je suis sûre d'avoir un morcau de croissant coincé dedans et je l’ai frôlé en le dépassant d’une démarche Angélinajoliesque. J’ai bien senti son regard appuyer dans mon dos, ça si c’est pas une flèche d’amour je me…
Ohh non, pas ça…

Le sol se rapproche de moi j’ai l’impression qu’il n’y a rien que je puisse faire, même battre des bras n’y changerait rien, sauf me donner l’attitude grotesque d’un coquelet de Bresse qui essaie d’échapper au chaponnage.
Il doit bien y avoir quelquechose à faire pour finir en beauté, il faudrait qu’au moins je me casse une jambe il pourrait m’emmener à l’hosto, il me prendrait dans ses bras je poserais ma tête dans le creux de son épaule et il regarderait mes larmes en pensant “qu’elle est belle et courageuse” zut, j’suis quand même godiche qu’est ce que je vais raconter aux copines ? merde en plus faudrait pas que je me casse une dent papa vient de perdre son boulot c’est vraiment pas le moment. De toute manière je suis une plaie pour mes parents il faudrait que je meure comme ça tout le monde serait bien content….

Mon genou se plie, j’essaie de me retourner dans ma chute en plus pas question de mettre mes mains en avant le sol est jonché de crottes berk, c’est dégueu… Mon dieu que je suis ridicule et avec ma chance ses copains vont se pointer et celui qui est roux là il va éclater de rire il ne sait faire que ça se foutre des gens en plus il est nul en maths…

ça y’est plus que 10 centimètres et sans intervention divine ou alien je vais m’étaler comme une vache à l’abattoir en plus je vais avoir des bleus partout, ça va se voir à la piscine j’inventerai un truc genre je me suis fait agresser. Ah bon??? Mais quand??? Oh, tu sais, je n’ai pas trop envie d’en parler, j’espère juste ne pas être enceinte, dirai-je avec des hoquets dans la voix en me jetant dans les bras de Mathilde. Quoi, tu t’es fait violer ??? ben oui, mais, sniff, ça aurait pu être pire sniff, j’te jure ils voulaient me tuer… mais ils m’ont trouvée mignonne alors… Ouais, ça tient la route, j e m’attirerai la sympathie, même de la part du groupe de filles un peu dark ça va les faire triper ça, ouah, c’est pas mal je la tiens mon histoire… Sauf que lui il va peut-être le dire à tout le monde que je me suis juste écrasée comme un vulgaire Concorde, oh non, il ne ferait pas ça à la femme qu'il aime, ce sera notre petit secret.

Le sol est à 3 cm à vue de nez, bon 2 cm j’ai un long nez, y’a plus rien à faire, ça y’est c’est la fin je devrais me suicider comme ma tante la vie ne vaut vraiment pas le coup…

Bammm. Outch. Tiens, ça va, j’ai pas si mal que ça. Je vais feindre un peu, il s’approchera de moi et je ferai comme si c’était mon dernier soupir je lui dirai dans un râle “dis-à ma mère que je suis désolée d’avoir piqué dans son porte-monnaie pour m’acheter des clopes”, non, c’est nul ça, je chuchoterai un truc énigmatique “Et dire que je venais juste de découvrir que…” et je fermerai les yeux en m'évanouissant sous la douleur.

3 minutes après je suis toujours au sol, plus ou moins en me tortillant comme un ver de terre pour bien montrer que j’ai mal, et dis-donc il est lent quand même mon sauveur. C’est parce qu’il est sous le choc, il a eu tellement peur pour moi, tellement peur de me perdre…

5 minutes après je dis “oui oui, tout va bien, merci” à une grosse dame qui dit “ça va, tu n’as rien, ben dis-donc, c’est une sacrée chute que tu a fait, t’es sûre t’as mal nulle-part? et je me relève avec une moue “tout va bien, je vous assure merci madame”.

Je me retourne.
Il est parti.
Mince, il ne m’a même pas vue tomber.
Connard.

lundi 2 avril 2007

Schizo-Roger

Je m’apprêtais à ouvrir une enveloppe lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air paisible quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Roger.


J’étais content dans le tribunal quand le verdict a été rendu : 6 d’entre eux ont écopé de la peine maximale.
A la sortie, des journalistes attendaient; je ne suis plus capable de rien dire bien sûr mais je pense qu’ils savaient déjà tout ce qu’il y avait à savoir. Moi, je souriais juste, mais ça me peinait un peu de sentir que je bavais sans pouvoir rien faire. Je me sentais un peu fatigué aussi, j’aurais bien fait une petite sieste dans mon fauteuil roulant. Je me suis dit que je n’achèterai pas le journal demain pour m’y voir en photo, parce que je ne dois pas être joli à voir.


Il y a trois ans je me suis retrouvé à faire ce travail, dans un laboratoire. Je ne suis pas chercheur moi, pas scientifique pour un sou même, mon truc c’est d’écouter les oiseaux. Je reconnais leurs chants, la bergeronette des ruisseaux, la mésange bleue et la nonnette, la fauvette à lunette ou l’hirondelle rousseline. Mais bon, dans ce labo, je n’ai pas eu besoin d’être un génie, on ne me demandait que de faire le ménage; ça je sais faire, j’ai fait ça toute ma vie, un peu partout. Donc j’ai signé une clause de confidentialité et toutes les nuits, j’ai fait le ménage. Et le sol, et les paillasses, et les abords des cages. Il n’y avait pas de chants d’oiseaux, c’était trop silencieux, je n’entendais que des bruits de paille, parfois, et des petits cris.
Au bout de deux mois j’ai commencé à perdre l’appetit, et à ne plus pouvoir dormir quand je rentrais chez moi.
Au bout de 4 mois je faisais le ménage comme un zombie, avec des bouchons dans les oreilles, et en fixant le sol, sans dévier mon regard, mais ça ne m’empêchait pas de voir quelques traces de sang par terre, et partout.
Au bout de 6 mois je gerbais tout le temps.
Alors j’ai décidé qu’il était temps.

Au lieu de rentrer chez moi un jour, au petit matin, j’ai attendu qu’un chercheur arrive. Et je lui ai demandé si je ne pouvais pas lui être utile des fois.
Comment pourriez-vous m’être utile?
C’est vrai qu’en un coup d’oeil on peut bien voir que je ne suis pas Einstein. Mais je lui ai dit j’ai un corps, et je vous l’offre. Il a éclaté de rire. Je lui ai dit que j’étais sérieux. Mais il est parti. Je lui ai dit je peux signer une décharge si vous voulez.
Je l’ai attendu tous les matins pendant 1 mois. Et je lui ai répété la même chose.
Un jour il m’a regardé, calmement, puis il m’a demandé : “Pourquoi feriez-vous ça?” moi : “Les raisons importent peu. Mais je veux le faire. Vous savez Monsieur, moi, à mon âge, je n’ai plus rien à perdre.” Lui, derrière ses lunettes : “Le problème voyez-vous c’est que vous allez me déconcentrer, moi et mon équipe, vous allez avoir peur parfois, puis mal, puis vous allez hurler, dire que non vous avez changé d’avis, etc”. Moi : “Vous n’avez qu’à me couper la langue”.
J’ai signé une décharge et il m’a coupé la langue.

Les 3 premières semaines ça a juste été une privation de sommeil et puis des décharges électriques. Ne me demandez pas pourquoi mais il notait plein de trucs et faisait des analyses.
Après il m’a fait pourrir l’oeil gauche en y versant des produits à intervalles réguliers.
Petit à petit, tout le groupe de scientifiques s’est mis à tester des trucs sur moi. L’ouverture de ma boîte cranienne et les choses qu’ils ont rivées dans ma cervelle ont été plutôt douloureuses.
Plus tard ils ont ouvert mon flanc, et en maintenant le trou béant, ils faisaient des prélèvements sur les aliments digérés.
Puis ils m’ont tapé pour savoir si je générais des tumeurs sous les coups.
Un jour l’un a demandé à l’autre : “Il est sous quoi là ?” “Oh, un traitement au diflufenzopyr à 98%” Ils appellent ça “traitement”. “Ah, c’est pour ça les lésions cutanées, les nodules lymphatiques et les atteintes à la moëlle osseuse, au foie, à la rate et aux reins…”
Quand ils ont déclencé des crises d’épilepsie, j’étais rivé à une chaise et de mon oeil droit je regardais le petit singe aux 15 tumeurs et à la boîte cranienne défoncée en train de mourir dans la cage près de la mienne.
Tout n’était pas noir, une jeune scientifique fraîchement arrivée était très tendre avec moi, elle me passait un chiffon humide sur les tempes en me parlant gentiment. J’étais plus calme après quand il me fallait respirer l’inhalateur à fumée pendant 10 jours, que ça pique quand même et on étouffe et mon dieu y’a des fois je préfèrerais être mort.

Plus de deux ans après que j’ai mis le pied dans cette cage, cette jeune scientifique n’a pas tenu. Elle a été tout raconter. Quel scandale, vous imaginez.
Au procès l’un des scientifiques à montré la décharge que j’avais signée. Mais ça n’a pas influencé le jury, qui a pensé qu’on n’avait pas le droit de torturer un être humain.
L’avocat de la défense a dit que c’était pour la science, que c’était capital.
Le jury a quand même pensé, non, non, rien à faire, sur un humain c’est un crime. Allez hop, perpet.

En rentrant je retrouverai mon compagnon de souffrance, un beagle tout recousu de partout, celui qui était à côté du petit singe en lambeaux. On m’a permis de le garder. Il ne peut plus bien marcher ni faire grand chose mais moi non plus alors… tant pis, on n’ira pas très loin ensemble. Mais on a déjà été si loin qu’on est juste heureux de profiter des secondes qui passent gentiment sans faire mal.

Je suis dehors, dans la ville, le tribunal et les journalistes et tout derrière.
Et j’entends une grive musicienne. On dirait qu’elle chante pour moi.
Pourtant on n’en voit jamais en ville.