lundi 9 avril 2007

Schizo-Lulu

Je m’apprêtais à ouvrir les yeux lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air marin quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Lulu.

Je suis sur cette falaise et les cendres que je disperse résonnent dans l’air comme des rires d'avant. Tous ces petits bouts de carbone qui s’envolent je les suis du regard dans le vent et à mesure qu’ils volent plus loin mes souvenirs eux reviennent plus près : ses mains potelées qui déchirent le papier brillant à son troisième Noël, le bolduc dans ses cheveux comme une couronne et son sourire comme un roi, ou quand il m’offrait en vrac tout son train électrique “ Tiens, prends-le, comme ça tu ne pleureras plus ” après que papa m’a administré la fessée de ma vie pour lui avoir dit “ T’es con.”
Je me perds dans cette douceur oubliée de fraternité, me souviens quand je le protégeais, il était alors en 6ème “ Tu touches à mon frère je vais te faire regretter d’être né avec des couilles ”, le genre de phrase qui claque comme une giffle de la part d’un gros dur de 3ème. Personne ne touchait à mon frère. Personne.
Les capotes qu’il me volait plus tard, “prends-en plus”, et je lui en refilais trois avec un clin d’oeil. Les “ T’inquiètes, ça restera entre nous ”. Les “ Putain tu fais chier ”.
Et puis quand la police a appelé. C’est malheureux de mourir à 24 ans.
Il n’y a plus de cendres dans l’urne, et je quitte la falaise en laissant aux poissons le droit de nager dans mes souvenirs.

Une promeneuse s’approche de moi, elle est grande dans son pull a grosses mailles, le vent fouette, et je découvrirai qu’elle est plus jeune qu’elle n’en a l’air, que c’est la vie qui a courbé ses épaules et terni ses yeux. Elle m’invite à prendre une tasse de café si je veux, elle habite juste en bas, si ça me fait plaisir on pourra parler, ou seulement boire un café ? Bien sûr j’accepte et derrière le voile de la tasse fumante je m’épanche un peu, je parle de mon frangin, quand même il était con, les concours de gobage de Flamby ou de branlette, oh pardon !
Elle me dit qu’elle a perdu son fils. J’ai hâte de rentrer chez moi, pas envie de m’extraire de mes souvenirs.
Je la quitte en pensant au masque du Clochard de Disney qu’il portait au carnaval, et au poisson rouge qu’il a “pêché” à la kermesse”. “ Mais? les poissons, ils ne peuvent pas vivre dans la sciure??” “ T’es bête ! Allez, lance ta canne et essaie d’attraper le p’tit crochet là !” “ Jeune homme vous avez gagné un poisson rouge. Choisissez celui que vous voulez.” “ Waaaah, j’veux c’ui là, qu’a la nageoire cassée! ”

Demain je ne sais pas ou j’irai, je prendrai le ferry peut-être, et j’irai déverser les cendres de ma mère dans la baie. Elle aura eu une longue agonie mais d’un filet de voix sous oxygène elle m’aura quand même chuchoté “sois heureux, tu es la meilleure chose qui me soit arrivé.” avant que les battements de son coeur ne fassent plus qu’une ligne droite sur l’écran.

La semaine prochaine je remplirai à nouveau l’urne. Cette fois-ci, ce sera mon paternel. Un homme rude mais le fond du coeur dans de la barbe à papa. Peut-être que quelqu’un me proposera un café, qui sait?

Moi je n’ai pas de famille, je n’en ai jamais eu.
Alors ça me fait du bien parfois d’avoir une vie à penser, à pleurer. J'triche pas, je crée.
Eh, j'avais pas une soeur aussi des fois ? Si, et c'était ma jumelle...

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Excellent.
(Je peux quand même pas commenter "putain tu fais chier" à chaque note, ça risquerait de devenir monotone).

Les faux souvenirs sont souvent bien plus mélodramatiques ou cinématographiques que les vrais. Voilà pourquoi en fabrique parfois, ou qu'on enrobe les vrais dans un habillage un peu plus présentable.

Anonyme a dit…

Très joli.

CarrieB a dit…

Oui, très joli, et même les vrais souvenirs on se plait à les enjoliver, volontairement ou involontairement d'ailleurs, de la même manière qu'on idéalise les êtres disparus, ou qu'on ne garde d'un accouchement que le sourire de l'enfant.

Schizozote a dit…

stv, en plus ça deviendrait blessant que tu me traîtes de putain ;) alors que je ne suis qu'une femme de très petite vertu...
Il y a aussi des mensonges qu'on avait raconté pour x raison et qui reviennent à la mémoire bien plus tard comme des situations ayant vraiment eu lieu... (bon, oui, c'est mal de mentir) !

merylB, merci, j'ai vadrouillé sur les archives du Truffe Diaries et j'attends la prochaine note avec impatience et des lunettes de soleil (promis juré c'est le dernier commentaire ayant rapport avec la vue)

carrieb, c'est très juste : pour la douleur il paraît que la tête est ainsi faite qu'on ne la mémorise pas, mille fois tant mieux (on sait que telle chose a fait mal, mais on ne le ressent pas. Tandis qu'au contraire la sensation de bonheur elle reste intacte éternellement dans notre mémoire, youpi!) Quant aux années qui passent et idealise les personnes, c'est sans doute qu'elles le valaient bien. Et si au pire c'était des moitiés de salauds, ben, tant mieux pour eux ;)

alexia a dit…

wahouuuu ca boût (du verbe bouilloir!) dans la tête de schizozote...à propos...reste-t-il un peu de tisane de chanvre?
je parcours avec plaisir tes chroniques alternants épisodes d'euphorie et de mélancolie...j'aime!Merci pour ta petite visite sur mon blog!;)

Anonyme a dit…

Je viens de (re)lire toutes les schizophrénies d'un bloc... Et évidemment j'adhère à l'avis général. Et non, un bon texte ne se termine pas forcément sur une "surprise". Et oui, il est étrangement beau et enrichissant de se créer des souvenirs, comme on se crée des avatars virtuels...

Schizozote a dit…

alexia, saperlotte, y'a plus de tisane de chanvre mais je ne désespère pas de trouver un peu d'café à l'héro ;) Bienvenue et à bientôt (je compte m'abonner à la Finlande!)

shaya, ouh bah j't'ai volé du temps alors (sourire ravi) ?