mardi 30 octobre 2007

Schizo-Madeleine

Je m’apprêtais à ouvrir la gazette normande lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air perdu quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Madeleine.

J’ai vu le vent. En tendant la main je le voyais. Il était gris, il était bleu, il était lourd et marin et chargé de marée basse, de gamines qui vont aux crevettes, de parents qui trouvent que le temps pue lui et son crachin mais oh regarde, une crevette, nan deux. Un de ces vents traîtres qui nous enlacent comme des amants avant de nous quitter comme des lâches. À la tu crois que je t’aime là sur la plage avec la mer au fond et partout mais je te serre parce que je te quitte tu vas morfler tu vas gémir tu vas mourir et y’aura que moi tout autour de toi personne ne t’entendra. Partout, ici, et là, tout loin au phare, tout près au ponton, enrobant et en tourbillons sur la digue, oppressant et en bourrasques sur le sable, ce sale vent. Normand, un vent de fin de saison avec des relents de vagues qui pourrissent vite. Et sentent mauvais.

J’ai vu les goélands. Des ailes comme de grandes chauve-souris mais blanches ou gris clair comme au paradis. Et des mouettes parmi eux, criiiin criiiin ça a fait vibrer mes tympans et le reste mais je ne sens pas grand chose ou alors trop et comme je ne sais pas je regarde. Et tous les goélands et les mouettes et peut-être un cormoran égaré tous ils tombent sur terre comme s’ils avaient été mitraillés ; ils s’abattent. Le sable mouillé ne se soulève même pas y’a que mon coeur qui a des hauts puis des bas et probablement à la fin plus de hauts et dans le ciel il n’y a bientôt plus que des cerfs-volants mais plus d’oiseaux ils sont tous descendus ils sont tous là ils sont sur le sable en amas et c’est devant moi et puis soudain les enfants ramènent leurs cerfs-volants et leurs rires chez eux et le soir s’abat.

Avec la nuit qui tombe les goélands s’envolent on dirait qu’ils ont peur ça fait des froufrous de plumes et les taches rouges sur leurs becs vibrent alors que le soleil lui ce soir manque de rouge : un peu pâle, ses reflets sur l’eau qui l’attend sont jaune pisseux ça ressemble à du sale mais quand même il va bien finir par se jeter dedans. Et les oiseaux qui s’éloignent lèvent le rideau sur les algues qui sentent la mer perdue.
Les algues envahissent tout : elles sont vertes et brunes et noires dans le bleu qui tombe laissant place à la nuit et elles s’enlacent pour ne pas se perdre jusqu’à la prochaine marée mais la marée s’en fout et elles sont déjà presque ailleurs les algues, bonnes à rien, qu’à rester et à compter les heures. Elles s’emberlificottent, elles se tourbillonottent les unes dans les autres et leurs reflets huileux sous la lune qui se lève seront bientôt secs comme des yeux de vieux qui n’attendent plus grand chose.

Et alors j’ai vu les bernards l’hermitte. ‘Sont arrivés. Et leur petite armée de pattes. Crac crac sur le sable ça a fait. Crac crac sous les algues qui pourrissent. Une autre marée sur terre en attendant la mer. Scrounch scrounch et puis ploc ploc le choc de leurs coquilles. Ils sortent sous la lune ils s’entassent ils viennent bouffer faut bien. Et je suis restée là, attendant qu’ils terminent, et qu’ils rentrent et que la lune aussi s’en aille et que la marée revienne et qu’avec ses caresses elle reprenne ce qui reste, ce que la vie a laissé, les lambeaux que les goélands n’ont pas réussi à arracher, les chairs que les algues n’ont pas réussi à putréfier, les miettes que les bernards l’hermitte repus et pressés ont abandonnées. Tout ça la mer et ce qu’il y a dedans va s’en charger. Jusqu’à demain. Puis elle va s’en aller. Puis repartir et revenir jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.
Plus rien de mon bébé. Sur la plage même plus de petits bras de petites mains potelées sur des châteaux de sable, le sable il va juste et il vient et recouvre et découvre mais bientôt il ne restera plus rien. Et ce petit rien sera perdu sous les algues.

C’est mon nourrisson. Et puis les gens peuvent pas comprendre. Et puis les cerfs volants reviendront demain. Et les goélands et les algues et le vent et les bernards l’hermitte, s’il reste quelquechose.
Et je l’ai revu là ce soir, par hasard, bizarrement, avec ses petits plombs dans sa couche. Sur la plage.
On dirait que je n’avais pas été assez loin.
Et puis je m’avance et puis la marée monte.
Et puis comme ça elle nous prendra tous les deux.


32 commentaires:

Madame Poppins a dit…

Il y a des chagrins dans lesquels on se noie avec plus de facilité que dans une eau profonde... Il y a des larmes qui étouffent plus sûrement que la mer qui s'engouffre dans la gorge, dans le nez....

Finalement, grande est la tentation de se laisser gagner par le grand bleu, le grand silence !

Merci, Schizozote, ton texte est magnifique !

Anonyme a dit…

excellentissime.
Franchement je suis fan ++++ de ce que tu fais.

Anonyme a dit…

Moi je préfère quand c'est pas triste, mais c'est rare.

Schizozote a dit…

Madame Poppins, ouep, y'a des fois on on a envie de se mettre la tête dans l'four. Mais comme ça ne fait pas partie des recettes "Cuisine santé, cuisine plaisir", on évite. En plus ça doit être dur à nettoyer...

Abs, je te retourne le compliment, je passe chez toi très fréquemment, commente un peu moins c'est vrai, mais profite toujours à fond de ta plume. Je te bats (et toc) : j'suis fan +++++ :)

Stv, certes. J'essaie pourtant j'te juuure ! Mais faut avouer que mon retour récent à Paris en transit jusqu'à décembre dans la froidure et les emmerdes de mes amis ne contribue pas à faire grimper mon moral au rideau. Cornebistouille vivement le départ! Cela dit, et parce que c'est toi, je vais redoubler d'efforts pour la prochaine schizo :)

Anonyme a dit…

Oui ton texte est magnifique, vraiment. A chaque fois tu m'emportes dans ton roulis de mots, ça me souffle la mer comme des messes basses de coquillages là...

Et la marée j'ai toujours trouvé ça sexuel moi, une sorte de coït élémentaire avec un sexe de lune (ouais je fais ma schizo:), et à la mort on retourne à la mer comme un gosse à l'envers... sa vie avalée comme un château de sable.

Anonyme a dit…

A la lecture de ton texte, je me suis laissée bercer par le roulis de la mer. Ca clapotait doucement, à droite, à gauche et puis parfois en avant, en arrière.
Et puis le roulis est devenu tangage. Maintenant, j'ai le mal de mère...

Schizozote a dit…

Sygne et Plum', ah mais non ça va du tout! Vos commentaires sont mille fois plus jolis que mes textes... Grrr, coquines ;)

Schizozote a dit…

... et puis voilà qu'un "pas" fout le camp... C'est la fin des haricots.

Anonyme a dit…

Ah mais si tu es sur Paris, je comprends mieux... tu es pardonnée !

Anonyme a dit…

On sent l'odeur de la marée jusqu'ici, et j'ai ramassé des algues sur mon clavier...

c'est malin!!

:-)

OMO-ERECTUS a dit…

Je ne vous lis plus. Je vous vois. Vos mots ne sont plus des mots, mais des odeurs d'un ailleurs. C'est à une grande qualité, dans l'écriture, de faire oublier les mots, si jolis soient-ils.

Et la mer, elle est bien loin quand on està Parie, hein?

Anonyme a dit…

Pfiou... j'suis essouflé ...
Quel rythme !!...
Peut-être parce que je l'attendais un peu ce texte, alors je l'ai lu gouluement, emporté par bourrasques et rouleaux...
Excellent, comme d'hab' !

Une deuxième lecture, plus clame, s'imposera quand j'aurais récupéré coeur et poumons.

Anonyme a dit…

Ah non, Paris, ça peut pas faire déprimer, c'est pas possible ... Attends que les rues s'allument pour Noël.
Là, si ça se trouve tu nous écriras un truc super niais à la Amélie Pouliche.
Mais la souffrance estt créatrice. La preuve.

Schizozote a dit…

STV, merci mon ami, je veux bien les derniers sacrements aussi... ;)

MissTortue, tu veux dire que j'sens la crevette ??!! Ah ben dame!

Omo-Erectus, bien loin oui, trop loin pour sûr, bouh snif slurp. Si l'on définit l'amour par le manque, alors maintenant c'est sûr, je suis éprise de l'eau à rendre jaloux mon amoureux.

Uhsn, laisse les là steuplé, j'me lance dans le trafic d'organes !

Milou, ah meuh non, c'est très joli Amélie! Sauf que depuis, les crèpes ont l' goût de vinyl...

ET ALORS C'EST LA MERDASSE Y'A PAS D'AUTRES MOT, JE PEUX PLUS LAISSER DE COMMENTAIRES DEPUIS UN BAIL (ils s'en réjouissent peut-être) A MISS TORTUE, A L'ARPENTEUR, A POLLY, ET JE NE PEUX MEME PLUS ACCEDER AUX BLOGS GENIAUX DE SYGNE ET ABS.
Quand je disais que c'était la merde.

Mémère Cendrillon a dit…

J'aime le rythme effréné pour raconter ce qui se passe si lentement, j'aime la course contre la douleur, le chagrin, j'aime le bruit de tes mots, les images qui traversent mon esprit, j'aime te lire.

Anonyme a dit…

Je passe en coup de vent, mais j'ai pris le temps d'en prendre plein les narines de ton vent. Et quelle terreur tu imposes sur cette plage glaciale.

natpointg a dit…

Bonsoir, ce n'est pas la première fois que je viens sur ton blog, mais jusqu'à présent j'étais assez discrète.

Ton écriture est... comment dire... belle, touchante, noire, elle a quelque chose de desespéré comme l'écriture de Nina Bouraoui, de salé comme celle de Karine Fougeray.

bon week-end

@ilema a dit…

Ou la la!
Le moment que je redoutais le plus, ce moment où je les aurais tous lus tes textes qui, à chaque fois, me renversaient tant les mots créaient en moi une série d'émotions. Comme si j'y étais moi aussi.
Je suis arrivée sur ton blog par pur hasard un jour où je me sentais toute petite. J'ai lu au début sans vraiment savoir dans quoi je m'embarquais... et me voilà accroc... c'est malin ça!
Bravo!

Anonyme a dit…

Nina Bouraoui ???!!!
Moi je trouve que Schizozote est bien plus affûtée, bien plus travaillée dans son style.
Elle est dans le pur style des novellistes à l'acide aiguisé, à la verve musclée, ce style qu'on ne peut pas demander à une romancière, je trouve... pardon natpoingG, c'est mon côté fan qui ressort là, pardon ...

Anonyme a dit…

Il y a surtout des gabians, par ici !

natpointg a dit…

@ à FéeKabossée : Je te pardonne mais ne recommence plus ! C'est marrant en y repensant, je n'ai pas changé d'avis... Sur le fond, j'aime le desespoir dans les mots de Schizo comme j'aime la noirceur de "mes mauvaises pensées". Sur la forme, on peut discuter...

Tu as raison, les nouvellistes ont une écriture tout à fait particulière.

bises

Anonyme a dit…

Avec le talent que tu as pourquoi pas une shizo-Mona-Lisa... je vois d'ici les ravages qui me renverseraient une fois de plus avec tant de plaisir consenti.

Anonyme a dit…

La mer t'inspire on dirait... et t'attire aussi. C'est le silence ? la grandeur ? la pression ? le vide ?

CarrieB a dit…

Trsè joli texte, mais un peu triste pour mon retour je trouve.
Quoi, t'es pas bien à Paris? T'as qu'à venir me voir, même si je ne sais plus trop où j'habite ;-)

Schizozote a dit…

Mémère Cendrillon, humm toi toi toi... j'aime quand tu me dis ça... ;)

Polly, si la page est glaciale, c'est la faute des grèves du soleil ;)

Natpointg, (miam le pseudo)je suis un peu gênée de ne connaître ni l'une, ni l'autre (de Karine Fougeray je ne connais que le blog...) Oups

@ilema, vu mon inspiration ces derniers temps, on dirait bien que tu vas droit à la cure de désintox !

Chèrefée, euh là non, fan? moi preum's!

Titie007, t'as ton permis de tuer les oiseaux toi ? ;)

Natpointg, bon, tout va bien alors, faites vous des bisettes :)

Polly, j'aimerais bien, d'autant que je détiens THE secret du sourire de la belle : une terrible envie de pipi qui rend donc son sourire si... ouaip, mieux vaut que je ne me lance pas ;)

Lo, tout ce qui est liquide m'attire ;)

Carrie Carrriiiie, quand est-ce que tu récris ?? Tu nous manques !!! ...je viendrais bien te voir mais il faut que je dompte et les grevistes, et mon compte en banque :(

Anonyme a dit…

Cet aprèm, j'ai lu ton texte à voix haute à un pote de passage. Je ne trouve pas les mots pour te raconter l'émotion. Te lire à voix haute, c'est encore pire.

CarrieB a dit…

Dommage pour la grève, et encore plus pour ton compte en banque ma pauvre!
Ca y est, j'ai enfin publié un article, j'avais presque oublié comment faire, si si!
Plein de bises en passant.

Anonyme a dit…

Marée incertaine ...

Anonyme a dit…

C'est Polly qui m'a suggéré de venir faire un tour, et c'est bien.
J'ai lu , lu aussi les commentaires.
C'est la douleur, on ne sait pas laquelle, dans les flots inconnus,dans une force de marée coincée entre le vu et l'espéré, qui fait naître et vivre les artistes, ceux qui écrivent en emportant les autres sur des boules de vent qui transpercent.
Tu es une artiste.
De là où je suis il y a beaucoup plus de soleil qu'à Paris, alors je t'envoie un bout de soleil, pour qu'entre deux billets tu plisses les yeux, la main en casquette.
Aprés, on verra bien, la mer des humeurs reste une amie tellement sournoise...
bill, pour faire court

Anonyme a dit…

(Hé, ceci étant dit, t'es gonflée de venir me harceler chez moi alors que tu n'es pas plus productive qu'un ours hibernant en 2067... :)

Madame Poppins a dit…

Pour Noël, tu nous écris une nouvelle nouvelle, hein, promis !??! Parce que là, je commence à me languir de te lire !

Schizozote a dit…

Polly, t'es trop gentille toi... merci beaucoup :)

Carrie, yes yes yes !!!

titie007, en évitant la noire.

Bill, merci de ta visite et de ton soleil : les flots de mon moral sont plus calmes maintenant, faudrait pas non plus que ma tête se prélasse trop sur la playa !

STV, toi j't'ai déjà répondu

Madame poppins, t'as été bien sage ? ;)