vendredi 6 juillet 2007

Schizo-Soren Thomas Vergeon

(NDLR : ce texte fait partie d'un jeu, dont vous pouvez voir les modalités à la note précédente : grosso modo, créer un texte en suivant le cahier des charges fourni par mes blogopotes)

Je m’apprêtais à ouvrir une bouteille de Pastis lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air qui sent bon l’assouplissant à la lavande sur chemisette à fleurs quand j’ai entrebâillé ma tête, et laissé entrer Soren Thomas Vergeon.

Longtemps je me suis couché de bonne heure. Les apéros prolongés du midi qui exhalaient leurs saveurs anisées en étirant leurs vapeurs comme de longs bras tentaculaires jusqu’au soir n’y étant probablement pas étrangers. Longtemps je me suis couché de bonne heure, mais depuis une semaine, l’excitation refusait son droit d’entrée à Morphée, « tss tss, pas de baskets, pas de dieu grec. »
Le ministère de l’émigration m’avait contacté : demain je serai conduit aux frontières de Jupiter. Comme tant d’autres. Depuis sept mois, la grande migration terrestre avait commencé. Les humains pouvant y participer étaient triés sur le volet : pas de casier judiciaire, pas d’addiction d’aucune sorte (la surconsommation de boissons alcoolisées ne rentrant heureusement pas en ligne de compte) et chacun se voyait confier ce qu’ils appelaient un couple « d’animaux totems » : dans ces grands vaisseaux spatiaux de Noé chargés du peuplement de Jupiter afin d’en faire une nouvelle Terre, chaque humain avait pour mission de prendre soin de deux animaux de sexe opposés. Chacun serait chargé de leur protection, et faillir à cette mission engendrait de sévères peines ; les humains avaient tant décimé la faune qu’il leur était maintenant donné l’opportunité de se « racheter » afin de recréer sur une autre planète un écosystème viable, ou humains et animaux vivraient en bonne entente, la superficie de Jupiter permettant la création d’immenses réserves protégées, chacune recréant à la perfection les habitats naturels terrestres de l’intégralité des espèces restantes. Sous un gigantesque dôme de verre, l’atmosphère était reconstituée, sans risque de trou de la couche d’ozone, ce qui me semblait être un excellent point de départ.
Mes animaux totems étaient bien entendu un couple de marmottes, dont je me devais de prendre bien soin, tant lors du voyage qu’après leur arrivée en terra incognita jupiteresque.

Bref, cette nuit là, je ne fermais pas l’oeil. Quand le téléphone se mit à sonner. Une voix de femme hystérique alternait sanglots, petits cris plaintifs et longs soupirs comme sur une partition de musique expérimentale. C’était Shayalimayangan, la femme que j’ai le plus aimé en ce monde. Ma Shaya, mon amour, pour qui j’avais décroché la lune à Bombay, dont j’avais rempli le corps d’étoiles à Alger, et qui m’avait laissé exsangue de sentiments dans un trou noir à Barcelonne. Shaya, enfin, qui m’appelait de Marseille. A vrai dire, j’aurais préféré dormir : cette femme là avait fait des confettis de mon coeur et je n’étais pas prêt à ressortir les langues de belle-mère.
- Soren, il faut que tu m’aides.
- Et merde.

Je fonçais à Marseille où je la retrouvais prostrée devant la mer dans une calanque. Quelques cigales insomniaques accompagnait les trémolos de ses sanglots et les basses de ses hauts le coeur. Défoncée à un cocktail de drogues et de médicaments dont je me refusais à faire le compte elle tenait encore son portable enduit de vomi dans sa fine main, la bague que je lui avait offerte au pouce, gluante de bile. Elle était loin ma fougueuse pouliche. Plus qu’une junkie, l’ombre d’elle-même sous un quartier de lune.
Son addiction l’avait doublement perdue : exemptée d’émigration, elle ne pouvait rien faire d’autre que de rester sur Terre en attendant que la chaleur écrasante, 60° en moyenne en France, ou qu’un cancer de la peau ait raison d’elle. Mais avec de la chance les drogues résoudront le problème avant.
Elle voulait juste que je fasse jouer mes relations, qu’elle puisse partir, tu sais Soren, je veux revivre, toi et moi on peut, tout serait comme avant, tu sais, quand tu m’aimais, tu m’aimes encore Soren ? Tu m’aimes ?
Alors je l’ai serrée dans mes bras, en caressant ses cheveux plein de sable, mes doigts s’emmêlant dans leurs noeuds de non-vie. Et je lui ai dit que oui, comme on berce une enfant. Je lui ai murmuré qu’elle est la plus belle au monde, que se perdre avec elle valait tous les sentiers tracés de l'univers, que je suis prêt à rester sur Terre avec elle, que les enfers d’ici valent tous les paradis si elle en est le Charon, que mon coeur battra toujours en écho à ses tempes qui palpitent, que je me damnerais pour elle sans un battement de cils.
Elle s’était endormie. Avec la respiration irrégulière qui répond aux drogues. Sur la Méditerranée ou ce qu’il en restait le soleil sortait de son lit pour annoncer la vie. Je l’ai laissée sur le sable et je suis parti. Je lui avais menti. Je ne l’aime plus, c’est fini.
Elle n’aurait pas dû croire que Jupiter était une solution : c’était une récompense.

Trois semaines après, ma vie s’organisait sur cette nouvelle planète. Dans quelques heures je partirai avec mes deux marmottes, repues et en pleine santé, pour les intégrer à leur nouvel habitat, de jolies montagnes verdoyantes que le gouvernement a nommé « les nouvelles Alpes ».
Je suis un peu en retard comme d’habitude et des milliers d’humains avec leurs animaux m’attendent pour relâcher qui leurs ours, qui leurs cerfs, qui leurs araignées, qui leurs rapaces. Le compte à rebours a commencé et tout le monde l’entonne avec exaltation comme au nouvel an. Les animaux sont fébriles, on dirait qu’ils savent ce qui va se passer.
À "trois", on pourrait presque sentir un long frisson sur leurs échines comme une ola.
À "deux" le temps semble s’arrêter.
À "un" ma marmotte femelle me lance un dernier regard.
À "zéro"... elle se jette sur son mâle et lui plante les dents dans la jugulaire qu’elle arrache dans un cri strident, le sang jaillit comme lors d’une exécution et elle recrache une touffe de poils et le tuyau de l’artère avant de se coller à moi comme pour me protéger. Je découvre enfin ce qui se passe alors que la marmotte mâle agonise en soubresauts amers au goût terreux de trahison : tous les humains se débattent et essayent de se protéger des attaques des animaux. Un rapace a déjà percé les yeux de mon voisin qui hurle à terre tandis que l’autre farfouille avec son bec acéré dans son entrejambe ; j’entends comme des plocs de myrtilles qu’on écrase. Les ours sabrent les carotides et les fémorales, les cerfs piétinent les cages thoraxiques, c’est l’apocalypse et je me sens entraîné vers un rocher et ma marmotte me fait entrer dans une grotte.
Le tumulte de la curie a cessé. Quelques râles persistent puis plus rien : ce sont en une minute des milliers d’humains qui gisent sur l’herbe rouge des Nouvelles Alpes.

Ma marmotte me regarde et me dit :
-
Tu sais ça fait longtemps que nous attendions notre revanche. Nous allons faire sur Jupiter ce que vous nous avez fait sur Terre. Mais moi je fais partie d’un mouvement humaniste de protection des hommes. Nous voulons garder quelques uns d’entre vous pour pouvoir vous montrer à notre progéniture.
- Mais tu es la seule marmotte maintenant, tu ne pourras pas te reproduire... ai-je rétorqué, abasourdi.
- Peut-être que si... Si tu m’aimes. Tu m’aimes ?

16 commentaires:

Madame Poppins a dit…

Je n'aurai qu'un seul mot : GRANDIOSE ! ;-)))

Schizozote a dit…

Madame Poppins dis-donc, tu te lèves très très tôt toi, si je ne m'abuse, il est moins de 7 h du mat samedi en France ? (l'horloge du blog divaque) Moi je dis que c'est ça qui est grandiose ! :)

Madame Poppins a dit…

Je pourrais te parler de "moi et le sommeil" mais bon, je pense que la seule que ça ferait, c'est... endormir tes lecteurs !

Et oui, il était juste avant sept heures (en Suisse ;-) quand j'ai cliqué sur ton site, espérant y trouver ma première lecture matinale !

Franchement, ton texte, il est absolument excellent !!!

Anonyme a dit…

C’est à dire que je sais plus trop quoi mettre
En commentaire, du coup... heuu?...ha oui:
Si je ne me trompe pas, c’est ta première SF,
Ton premier Blade Runner, et c’est une réussite.
Du Philip K.Dick mais avec la zoophilie en prime!
Et la mort inéluctable de la pauvre Shaya!! Et
Les déclarations très waouuuuh et *soupirs*!!!
Attention aux fautes d’orthographe, quand même.
Mes félicitations en tous cas pour ce texte si drôle
En particulier avec la difficulté (références à la
Race pure et au génocide humain, ou c’est moi?).
Des regrets -malgré cet enthousiasme-
En ce qui concerne l’acrostiche...
!
!

Anonyme a dit…

Quand j'ai lu l'intro et le mot Pastis, j'ai ri (jaune), mais je ne pensais pas avoir raison à ce point. Je me suis beaucoup amusé à lire ce schizo, et je me suis presque reconnu ! Belle ressemblance, bravo !
;)
;)
;)

Schizozote a dit…

Madame Poppins, si tu veux je t'envoie des moutons de Nouvelle-Zélande à compter : avec pas loin de 50 millions, ça devrait t'occuper jusqu'au petit matin ! ;)

Père Darieux, je n'aime pas trop ton acrostiche, il pue ;)

STV, ;))))

OMO-ERECTUS a dit…

Eh bien moi aussi, j'ai bien aimé de petit texte plein de trouvailles. Merveilleusement écrit aussi.

Pas certain de bien piger le Père Darieux, mais ca, c'est déjà une autre affaire.

À quand la suite?

Schizozote a dit…

Omo-erectus, oh tu sais, les hommes du clergé... !
La suite, je ne sais pas trop, si je l'écrivais j'y mettrais probablement une histoire d'amour à l'érotisme torride entre Soren et sa marmotte mais je risquerais de choquer certaines personnes de moins de 77 ans alors...

Anonyme a dit…

Alors là je dis
CHAPEAU !!!!
Excellent, très drôle, et il y a tout, et ça fait peur, et une fin ouverte, et pis tout quoi ! Waouh.
Bravo à toi !
(sacré exercice, dis donc)

CarrieB a dit…

Oui, sacré exercice auquel tu t'es pliée avec brio, belle histoire de SF avec la petite morale et tout et tout!
Toujours autant de talent d'écriture, bravo schizo-estelle.

Daniel Paillé a dit…

Bien, bravo!
Bize

Schizozote a dit…

Je rêve, finalement, c'est plutôt marrant comme exercice, je crois bien que je le retenterai, si vous êtes d'accord.

Carrieb, ben, écrire ce blog, c'est mon petit déménagement à moi ;) ... je change de tête !

Daniel Paillé, non, bravo à toi et à tes 25 ans de bonheur partagé :) Alors, t'as reconnu STV ? ;)

Anonyme a dit…

Yahou.
Du Ray Bradbury avec de la zoophilie en plus. Ce pauvre narrateur qui croyait commencer une nouvelle vie et qui se retrouve à faire le gigolo à marmottes dans un zoo, c'est quand même pas de bol...
Père Darieux, c'est quoi un acrostiche, ça se mange?
Autrement, arrête-moi si je dis une connerie vu que j'y connais rien en astronomie, mais Jupiter, c'est pas une grosse grosse boule de gaz là quand même?
Ah oui, aussi. Si un jour t'en as marre de compter les moutons de nouvelle zélande et que tu décides de venir compter les chats errants galeux avec une queue atrophiée des temples de Tokyo, tu sais que tu peux viendre. Les chats attendent.

Schizozote a dit…

Merryllb, en ce moment pour tout t'avouer, c'est plutôt moi la grosse boule de gaz... j'ai fait un sort à la grosse boîte de cassoulet envoyée par ma môman !!
Tokyo, why not : si les produits du sud-ouest français ne sont pas trop chers ;) En tout cas c'est sûr, je serais ravie de t'y rencontrer (surtout sepuis que tu gères à toi toute seule 3 pays!!)

Anonyme a dit…

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