vendredi 30 mars 2007

Schizo-Sabine

Je m’apprêtais à ouvrir mon frigo lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air qui sent bon la Soupline quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Sabine.

Je suis pieds-nus sur un tapis en laine de Mérinos, j’aime assez quand les petits brins se coincent dans mes orteils, tiens je devrais faire mes ongles, avec ce joli verni jaune Chanel que Carole a découvert. Mais non. Devant moi la planche à repasser attend mes caresses avec une impatience passive et sur ma droite dans son parc, mon petit bonhomme babilleur prend un plaisir certain à sucer l’oreille de son lapin vert. Le deuxième téléphone a sonné.

- Humm ouiii, ai-je répondu d’une voix sensuelle

Mince, y’a pas d’eau dans le fer à repasser. Je me dirige vers la cuisine, en jetant un coup d’oeil souriant à Arthur qui tend sa main potelée pour saisir un gros hochet… C’est merveilleux, il se redresse déjà on dirait que demain il va marcher…

- Tout, absolument tout ce que tu veux… je suis ta pouliche, ahh tu m’excites déjà, pervers… Mets tes éperons et en selle !

C’est incroyable la tonne de linge que j’ai. Je coince le combiné entre ma joue et mon épaule gauche et m’empare de la petite grenouillère bleue, mon dieu, il grandit si vite que dans 5 jours je pourrai la donner à la Croix Rouge. Carole dit que c’est trop dommage, un si joli habit, et que quand même Philippe, même s’il n’est pas souvent là il s’en occupe bien de son fils avec sa Gold. Que c’est ça qui compte, Georges est pareil de toute façon, ils ont besoin de leur liberté, dit-elle souvent avec un sourire dans lequel je n’arrive pas à percevoir la moindre trace de jugement.

- … hummm, ooooh, nue, offerte, j’attends que tu m’enfourches…

Quelle heure est-il ? Repassant consciencieusement, je regarde rapidement la pendule en chêne qui trône au mur, cette pendule je la maudis, comment a-t-elle fait pour s'inviter chez moi, elle ressemble tellement à la mère de mon mari, froide, claquant ses aiguilles comme une langue habituée à donner des ordres, et sonnant la fin d'une heure comme celle d'une conversation quand on sonne un valet "une aspirine Grégoire!, merci d'être passée me voir Sabine..." Tout dans les points de suspension, comme une lâcheté habituée à ce qu'on ne la remarque pas..

- Oh oui, tu en as une grosse, énooorme… oui, je me frotte, écoute… Ahhh ahhh, Ohhhhh mon dieuuuuuuuu mon étalon, c’est si booooon, ahhh, ahhh, ahhhh, aaaaaaaaaaaaah ! crie-je en pliant un bavoir tandis que je frotte le combiné contre mes cheveux, criiiic, ça sonne comme des poils pubiens ou des draps froissés par la luxure.

Je regarde Arthur qui s'est endormi comme si tout au-dessus de lui s'étalait une voie lactée protectrice et me dit que ça va être bien agréable pour nous deux d'aller tout à l’heure voir les canards dans le parc.

- Jouis ! Ouiiiiiiiiii, jouis, c'est gros comme un cheval.... OHHHHHHHHH !

Cling.
Au bout du fil l'interlocuteur a raccroché.

Je repose le combiné en pensant que tiens, c'est très ensoleillé, et qu'Arthur va devoir porter son bob, celui d'un vert-pomme assorti à sa petite salopette, il est si mignon là-dedans.

Au téléphone il n'y a pas de gros, il n'y a pas de laid, pas de pervers suant leurs fantasmes, non, il n'y a que de l'argent. Je parle à des robots. J'y mets autant d'entrain que pour faire une mayonnaise.
Pourquoi je fais ça ? Parce que ça m'aide, et que c'est facile.
Jamais personne n’a eu besoin d’un p’tit sou en plus par ci par là ?
Non?
Donc tout le monde a refusé l’héritage de Papa, les étrennes de Mamie, et la pièce de 5 franc chaque dimanche dans la tirelire ?
Le jour où j’ai eu besoin d’argent, de mon propre argent et pas celui de la Gold de Philippe, je me suis dit que ce serait bien dommage si le sexe ne faisait vendre que les gels-douche, les mauvais scénarios, les chansons de Pierre Perret et les concerts de Christina Aguilera.
Le sexe, il fait vendre le sexe aussi, il ne faudrait pas l’oublier.
Vandel demandait innocemment aux actrices porno si dans le métier, il fallait coucher pour réussir. Très innocemment (!) elle répondaient en riant, nooon !, c’est un milieu très sain.
Moi, de ma personne, je ne donne que mon oreille. Et vous seriez surpris de savoir combien ça me rapporte. Et ça me ferait bien rire de voir un de leurs visages, aux Carole et autres, s’ils l’apprenaient.

Un jour, sans s’en apercevoir, mon mari et sa mère au mécanisme pendulaire des vieilles familles se demanderont tiens, où est Sabine, où est Arthur ?
Et nous on sera aussi loin qu’on peut pour être mieux.

Le téléphone normal a sonné. C'est mon mari, Philippe.
- Allô chéri ?... Non, bien sûr je comprends… pas de problème, je le ferai réchauffer… Du poulet basquaise, comme tu aimes…

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Enfoiré (bis).

CarrieB a dit…

Encore une belle réussite, et c'est sûr que ça existe! Un jour j'avais vu un reportage sur ces femmes du téléphone rose, des ménagères de moins de 50 ans à la voix suave mais au physique pas forcément avantageux.
Reste à savoir de quels souvenirs inconscients le petit bouchon dans son parc va se nourrir une fois adulte.
Et si la liberté a un prix, ben autnat que ce soit celui-là, qui ne touche pas à l'intégrité du corps.

Anonyme a dit…

Très amusant, ce contraste entre la voix à faire fantasmer ces mâles et la scène de la femme au foyer pliant ses bavoirs... Mais c'est aussi effrayant en un sens...