samedi 30 juin 2007

Schizo-Xui

Je m’apprêtais à ouvrir la cage aux oiseaux lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air consciencieux quand j’ai entrebâillé ma tête, et laissé entrer… Xui.

Jour J – 3
Je travaille au bord du ruisseau, à l’ouest du palais dont les tuiles vernissées dorent au soleil leur jaune impérial. Je travaille au bord du ruisseau à ma dernière création. Le bois à force de ponçages méticuleux est devenu doux comme la joue veloutée d’un enfant endormi. Je travaille au bord du ruisseau où je rince mes outils et trempe mes doigts de pieds : les bulles gigotent entre eux et l’eau riante bondit par-dessus comme un singe des montagnes.
Dans quelques jours je gravirai les marches menant au palais et sous le regard des gardes, la main sur le pushou en serpent de mer, je pousserai solennellement la lourde porte, m’avancerai dans la salle aux murs de fleurs vernies, et comme dans une clairière au beau milieu des colonnes dorées je continuerai vers le trône, m’agenouillerai devant l’empereur, et lui offrirai la tête baissée son nouveau jouet.
Depuis huit ans je suis le créateur de jouets de l’empereur. Depuis sa naissance je mets ma créativité à son service, comme je la mettais avant au service de son père. Depuis ses plus tendres années ma seule mission est de le divertir. Si ce n’est pas la plus jolie mission du monde, d’offrir du bonheur à un enfant !
Je me souviens de tous, absolument tous les jouets que j’ai créés pour Cheng. Six par année, c’est la règle. En huit ans, quarante-huit ; mais c’est comme s’ils étaient plus de cent. Et je me souviens de tous, du plus petit au plus gros, du plus poétique au plus didactique, du plus précieux au plus ordinaire. J’ai mes préférés bien sûr, parmi tous ces petits bouts de moi...
Comme la machine en nacre qui fait de petits nuages de toutes les formes imaginables, en lapin, en poule, en dragon... et qui devait l’aider à rêver, à s’évader, comme si, en tailleur dans son trône, il était le magicien du ciel.
Comme la fleur de jade qui ne s'ouvrait que lorsqu’on lui disait quelque chose de vrai, pour lui apprendre la valeur de l’honnêteté.
Comme la poupée qui se réchauffait soudain au contact de l’eau salée. Comme le petit vélo qui chantait lorsque l’on pédalait. Comme le xylophone à parfums ou la couveuse à cocons de monarques.
Tous je les ai conçus des jours durant, dessinés des nuits entières, créés pendant des mois, puis polis, testés, réagencés, caressés, aimés.
Tous. Pour le bonheur de l’empereur. Parce que le sourire d’un enfant est la plus belle des récompenses.

Et depuis huit ans aussi je récupère de temps à autre des morceaux de mes joujoux par ci par là, qui fracassés sur un bixi, qui écrasés, qui brûlés, qui désossés à petite main nue.
La petite poupée qui le réconfortait quand il pleurait. Le xylophone qui recréait le parfum de sa défunte mère au son de do-ré-mi. Tous, un jour ou l’autre, cassés. Plus aucun papillon qui ne sort de la boîte pour s’envoler vers la vie en beauté éphémère.
Ah, les enfants sont si maladroits. Ah mais c'est tellement joli aussi d'être un enfant, on passe si vite d'une chose à une autre. Alors je récupère les morceaux, et puis c’est tout, c’est la vie. Et suis heureux malgré moi en imaginant que mes créations auront rempli leur mission et le coeur de l’empereur de joie.

Mais dans quelques jours ce sera différent. J’en trépigne d’impatience. Je m’inclinerai devant lui, genou à terre, et le parquet ciré que je regarderai reflètera pour qui veut bien le voir un de mes plus beaux sourires. Car je lui offrirai le jouet le plus merveilleux qui soit. Probablement le seul qui existe au monde. L’aboutissement de toute ma vie. Ma plus belle réussite. Dédiée à son plus grand bonheur.
J’essuie sur la mousse mes pieds que l’eau du ruisseau a rendus gourds et pose tout en enfilant mes chaussures de toile un regard redevable à cette nature qui ne cesse de m’inspirer. Ploc-ploc, fait le ruisseau.

Jour J
L’Empereur saisit son nouveau jouet. Il le regarde avec plaisir et me demande de sa petite voix flûtée :
- Qu’est-ce que c’est, Xui ? Un casse-tête ?
- C’est bien plus qu’un jouet, votre Majesté.
- Qu’est-ce alors ?
- Quand vous trouverez la solution du casse-tête, vous ne serez plus jamais triste votre Majesté. Ce jouet-là vous apportera le bonheur éternel.
- Voilà qui est intéressant Xui, et il me sourit avec malice.
Et je me suis retiré.
Quelques minutes plus tard alors que je descendais les marches du palais en me disant que grâce à moi Cheng serait l’enfant puis l’homme le plus heureux du monde, deux gardes m’attrapèrent.
- L’empereur veut te voir, Xui.

Les yeux de l’enfant étaient haineux. Son visage furibond. Ses poings tant serrés qu’ils en étaient bleus. Mon jouet gisait au pied du trône, sous la sandale pourpre de Cheng.
- Xui, ce jouet est incassable, dit-il la voix en couperet.
- Bien sûr votre Majesté, répondis-je. Je l’ai conçu ainsi. De peur qu’il ne se brise avant que vous ayez accédé au bonheur éternel.
Alors l’enfant empereur a rugi à ses gardes sans cesser de me fixer:
- Emmenez-le. Et demain aux premières lueurs du jour, tuez-le.
- Pourquoi ? ai-je osé demander.
Il a bien réfléchi avant de me donner sa réponse :
- Parce que.

Ce parce que là n’était pas celui d’un enfant mais celui d’un empereur.
Les gardes qui me tenaient les bras baissaient les yeux. Ils devaient bien savoir eux, qu’aucun de mes jouets n’avait assez vécu pour accomplir sa mission, et que l’enfant empereur les avait tous cassés avant même de les avoir essayés.
Ça me fait toujours sourire, de voir où les notions de puissance et de pouvoir se logent.

Mon successeur a sans doute déjà été désigné. Il commencera probablement demain. Peut-être travaillera-t-il lui aussi au bord du ruisseau. Peut-être y verra-t-il passer ma tête coupée. Des bulles d’air qui gigoteront autour et des petits jets d’eau qui bondiront comme des singes des montagnes. Et les ploc-ploc du ruisseau.

lundi 25 juin 2007

Schizo-Père Darieux

Je m’apprêtais à ouvrir l’opercule d’une bouteille de jus d’orange lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air religieux quand j’ai entrebâillé ma tête, et laissé entrer… Père Darieux.

Je n’entrerai plus jamais dans un confessionnal.
Avant je savourais ces moments de vérité et d’humilité, le calme de l’isoloir se remplissant de murmures et de pardon. Je traquais avec émotion la différence entre les pas entrants, lourds, pressés, et les pas sortant, plus légers, plus dansants. Je m’amusais à entendre les petites faiblesses humaines, les colères non maîtrisées et leur sincère regret, les adultères coupables et contrits, les mensonges des uns, les cachotteries des autres, le regret de tous. J’offrais en souriant du temps d’écoute à cette vieille femme qui semblait s’inventer des petits péchés, oh, infimes, juste pour parler. J'entendais les fervents qui culpabilisaient à chaque petit pas dans l’ornière, ceux qui faisaient une grande embardée mais désiraient ardemment retrouver le sentier balisé du Bien. L’enfant qui venait juste dans l’isoloir pour pouffer, balbutier « Mon père, j’ai péché... une truite » avant d’exploser en fou rire et ressortait en courant et en criant à ses copains sur les marches : « Ouais, j’lai fait ! J’suis sûr que toi t’es pas cap’ ! Pas cap’, pas cap’ ! »
Je n’ai jamais aimé ceux qui se confessaient en essayant toujours de s’excuser. Tentant par tous les moyens de minimiser leur péché, lui recherchant des circonstances atténuantes afin de le rendre plus innocent. Mais Dieu pardonnait si le repentir était sincère.
Et dans l’infirmerie du Christ, par mon intermédiaire, tous les malades qui le voulaient vraiment guérissaient.

Je savourais tous ces instants, conscient de l’importance de la mission qui m’avait été confiée. Jusqu’au jour où est entré un autre genre de pénitent.
- Mon père, j’ai péché.
- Je vous écoute mon fils.
- J’ai trompé la confiance d’une femme. J’ai laissé mourir ses enfants. Un par un. Sans même lever le petit doigt.
Avant même que j’ai pu ouvrir la bouche, la personne s’était enfuie.

Le jour suivant alors que je touchais le chêne de l’isoloir, la même personne s’est assise derrière la grille. J’aurais reconnu sa voix entre mille.
- Mon père j’ai péché.
- Je vous écoute mon fils.
- Aujourd’hui j’ai tué plusieurs innocents.
Et le confessionnal s’est soudain vidé. Alors que ma main se crispait sur mon chapelet.
Jour après jour j’apprenais de nouveaux crimes, de nouveaux abus de confiance, de nouveaux « j’ai laissé faire », d’inlassables « J’ai tué des gens qui n’était pas de la même confession que moi », « je bannis l'homosexualité », « j'empêche et maltraite certaines femmes d'avorter », « j'en lapide d'autres pour n'importe quelle raison», une succession infinie des pires péchés qui soient. Juste une énumération.
Et toujours la personne fuyait.

Il n’y a jamais eu la moindre once de repentir. Et je n’ai jamais eu le temps, ni l’occasion, ni même la volonté je le crois bien, de lui accorder le sacrement de pénitence et de réconciliation. Cette personne se foutait bien d’être pardonnée. Se refusait à toute contrition. Voulait juste que je sache. Ce qui confine à la torture : je suis tenu au secret.
Dieu dans son immense miséricorde pardonne à tous ceux qui montrent un sincère regret. Mais il n’y a jamais eu de regrets énoncés, pas la moindre émotion dans la voix.

Hier je tremblais en rejoignant le confessionnal. La porte à peine refermée j’entendis :
- Mon père j’ai péché.
Ça n’a jamais été autre chose, jamais « Pardonnez-moi, mon Père, parce que j’ai péché ». Non. Jamais.
- J’ai puni plusieurs milliers de personnes en leur ôtant la vie.
Je l’ai arrêté net. C’est un fou. Un mégalomane en puissance. Et un piètre menteur, ce qui m’a rassuré.
- Qui croyez vous donc être, pour punir les gens ?, ai-je ironisé.
- Qui croient-ils que je suis, pour penser que j’en ai le pouvoir ? entendis-je en réponse.
Qui croient-ils donc que je suis pour m’ériger en excuse à la haine ? A qui pensent-ils s’en remettre lorsqu’ils massacrent ? Qui croient-ils honorer par les pires des actions ? Par qui croient-ils être guidés lorsqu'ils commettent l'impensable?
- Qui êtes-vous ? murmurai-je
- Je suis une des folies des hommes.
- ... Mais, ai-je chuchoté plein d’espoir, vous êtes aussi amour... ?
- Mais... l’amour, c’est juste l’amour non ?

Et puis plus rien. La voix s’est tue. Je n’ai pas entendu de pas quitter le confessionnal en martelant les dalles, je n’en ai jamais entendu y entrer.
J’ai quitté l’église.
Un enfant s’est élancé vers moi, et tout essoufflé m’a dit : « je suis celui qui est venu dans votre confessionnal la semaine dernière, et j’ai fait cette blague... vous savez, pêcher une truite... »

Je lui ai demandé négligemment tout en continuant à marcher : « Et tu veux te confesser ? »
« Non, je voulais juste m’excuser auprès de vous. »

Demain, ma lettre arrivera au diocèse : adressée à l’évêque, elle stipulera juste que dorénavant, je mettrai ma foi en l’homme.

mardi 19 juin 2007

Schizo-Benjamin

Je m’apprêtais à ouvrir un annuaire téléphonique lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air talqué quand j’ai entrebâillé ma tête, et laissé entrer… Benjamin.

Je suis né il y a exactement vingt-et-une semaines et trois heures.
Je le sais parce que ça commence aujourd’hui. Parce que ça commence toujours à la vingt-et-unième semaine, et pile trois heures. Toujours. Depuis la nuit des temps. Dans une grotte ou dans un couffin de roseaux, dans un linge râpeux ou dans de la soie, dans un lit douillet ou dans le froid, seul ou dans des bras : pour chaque bébé, ça commence là.
Pour se finir... cela dépend de chacun. Le premier mot intelligible prononcé correspond à la fin à la mission, et par là même à son souvenir. Parfois les enfants se mettent à parler très tard : c’est qu’ils n’ont pas encore trouvé. Qu’ils cherchent encore. Qu’ils s’interrogent.
Chaque bébé a une réponse à trouver.
La mienne est de déterminer le poids des larmes.
Et en cela, sa valeur.

Une larme de joie a-t-elle plus de valeur qu’une larme d’impuissance. Un déluge de rage vaut-il moins qu’une pluie de rire. Combien pèsent les larmes que les humains versent lorsqu’ils dorment, sans même s’en rendre compte le matin, en attribuant à la fatigue les cernes qui leur pochent les yeux plus qu’aux lits creusés dans leur peau par des rivières salées. Y’a-t-il moins de sel dans une larme de souffrance que dans une de crocodile. La larme qu’on retient pèse-t-elle plus lourd que celle qu’on force.
Certaines allègent-elles plus le coeur que d’autres.
Je continuerai à gazouiller pendant des mois et des années s’il le faut. Je ne parlerai que lorsque je saurai.

Myriam la fille de la voisine a un an et onze mois et ne dit toujours pas un mot. Depuis seize mois et une semaine elle doit déterminer si les soucis se dissipent pour ceux qui le méritent. Ce que c’est qu’un souci. Et ce qu’est le mérite.
Moi je n’ai que des larmes à peser ; ça ne devrait pas être si compliqué.

J’ai commencé par regarder. Le vieil homme tout courbé dans la cage d’escalier, celui qui habite sous les combles : la source de ses larmes est tarie. C’est fini, il n’en a plus, comme si elles étaient comptées, un patrimoine de départ et puis c’est tout. Et dans son grand désert le soleil est tant de plomb que cet homme tout ridé dans son pardessus recousu ne peut plus lever la tête et fixe les marches qui ne le mènent nulle part. Je dévisage ma maman qui regarde la photo de mon père tous les soirs, qui en caresse le verre froid, qui pleure en silence et sourit à travers cette pluie en me regardant. Je me tourne vers ma grand-mère qui pleure quand on la quitte et repense à son fils. Son petit de trois ans, mais c’était la guerre. Il faisait froid dans les Flandres. Et la grippe était sans appel. Elle pleure sans pleurer. Comme un réflexe. Avant de se lever pour préparer des frites, qu’elle mange avec un steak.
Je vois cette fille qui pleure de rire dans le bus en se dandinant, faisant des claquettes sur cet instant, avec son amie qui rit aussi spasmodiquement comme pour l’éternité, puis elles descendent du bus.
Et plus je regarde les gens et plus l’humanité frappe à ma porte : tous, loin, près, en toutes circonstances, je les vois, je les entends, je les ressens pleurer ça m’emplit pendant mon sommeil ça me hante lorsque je bois au biberon j’y pense sans cesse je veux la solution.
Mais les mois passent. Je n’ai pas de balance . Je ne peux pas peser la différence.
Il semblerait bien que jamais je ne parle.
C’est pourtant simple : la masse d’une personne avant de pleurer et la masse d’une personne après. C’est mathématique. Et la différence entre une larme de telle nature et une de telle autre me permettra de faire une échelle de valeur.
C’est le chat qui m’a donné la solution, et elle était bien différente de celle que j’aurais imaginée : il s’est lové contre moi dans mon berceau en ronronnant. Je lui ai demandé s’il pleurait de temps à autres. Il m’a répondu non, les animaux ne pleurent pas. Pourquoi ?, ai-je demandé. Parce que nous n’avons pas d’autres buts que de vivre. En cela nous n’avons qu’à attendre que les jours passent.

Alors j’ai tout compris. Les larmes ne sont qu’un trop plein de vie. Elles pèsent pour chacun l’exact poids de ce trop plein. Aucune n’a plus de valeur qu’une autre : elles sont des petits bouts de coeur, d’espoir, de douleur, de bonheur qu’on disperse pour faire un peu de place et en accueillir d’autres. Elles sont le futur de chacun. Et chacun y met autant de poids qu'il en a besoin pour continuer.

J’aimerais pouvoir dire à ma maman tout ça, et pourquoi aussi les bébés pleurent parfois sans qu’on sache pourquoi : ils ont mangé , ils sont changés, mais ils pleurent parfois sans s’arrêter. C’est parce qu’ils cherchent une solution. Une réponse. Qu’ils ont une mission. Et qu’elle est importante. Alors ils cherchent en eux. Et pleurent pour faire de la place à la suite.
Mais les souvenirs commencent à s’effacer.
Bonne chance Myriam.
C’est flou dans ma tête.
Maman s’approche et je dis : « Chat !».

lundi 18 juin 2007

Schizo-Napoléon

Je m’apprêtais à ouvrir une bouteille de cidre lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air corse quand j’ai entrebâillé ma tête, et laissé entrer… Napoléon Bonaparte (rien que ça).


Aujourd’hui j’ai cinquante ans. Et ça m’est bien égal. L’an 1818 a laissé place à l’an 1819, comme la grisaille matinale laisse tous les jours la place au soleil. Les alizés du sud n’ont de cesse de souffler sur mes années comme sur des bougies invisibles qui ne trônent sur aucun gâteau.
Ici à Sainte-Hélène, les nuages et des années passent, comme ça, sans que rien ne change vraiment. De toute manière, il est révolu pour moi, le temps des changements. J’ai déjà eu ma part du gâteau : il était moelleux et savoureux comme le temps d’avant, épicé comme une couronne, radieux .
Ayant quitté Longwood tôt ce matin, j’erre sur les crêtes, derrière moi tinte la clochette de Blanchette, qui préfère gambader avec moi, laissant son troupeau bêler derrière ; les tortues géantes que je croise ne s’inclinent pas devant moi, pas plus que le wirebird qui court dans les herbes hautes, ses longues pattes frêles comme des fils de fer.
Je marche, Blanchette à mes côtés, grignotant par-ci par-là un buisson épineux, et le ciel est clair comme mes souvenirs.
... 2 ventôse 1796, à la tête d’une armée de 40000 pauvres soldats mal nourris, je roule l’armée autrichienne en surnombre dans la poussière et Beaulieu dans ses larmes de honte.
... Quelques semaines après l’armée sarde finit à son tour par s’incliner le nez dans la rancoeur et le sang et signe les lèvres serrées l’armistice à Cherasco, jolie petite commune du Piémont si je me souviens bien, et je me souviens bien, je n’ai que cinquante ans après tout. Deux armées colossales battues en 18 jours, dis donc, je ne faisais pas les choses à moitié.
...1798 : l’armée d’Orient sous mes ordres, la campagne d’Egypte commence. Alexandrie est prise en un seul petit jour, nous remontâmes le Nil, partîmes cinq cent ou plus, arrivâmes à peu près pareil, mettant en déroute les cavaliers mamelouks à Chebreïs, puis de nouveau sur le champ de bataille des pyramides de Gizeh. Je me souviendrai toujours de notre entrée triomphale au Caire... j’évite soigneusement de repenser au léger contretemps britannique, lui préférant mes glorieux combats contre les Turcs, les Syriens, et même les pestiférés, c’est dire, ce dont je me serais bien passé tiens, pas que ça à faire moi de minauder avec des moribonds. Jaffa. Bon, ça a fait un tableau de plus...

Le vent et la clochette de Blanchette résonnent dans mes souvenirs tandis que l’Atlantique bat les rochers en jouissant de sa force comme je rêve à la mienne... passée.
... 20 brumaire 1799, je deviens Premier Consul après un coup d’état sans états d’âme...
Les buissons d’épineux bruissent comme des murmures au gré du vent qui les caresse.
... on m’appelle même “Robespierre à cheval” après l’assassinat du Duc D’Enghien...
Les murmures des feuilles semblent m’applaudir.
...le 2 frimaire 1804, je me couronne Empereur. Digne et resplendissant héritier de César, de Charlemagne... Mon sacre étale pour l’éternité sa gloire sur dix mètres sur six... avec mon lourd manteau d'hermine, ma couronne de lauriers, le globe de Charlemagne et tout ceci étonnament en digne héritage des valeurs républicaines...
Clochette appuie sa tête contre ma hanche et regarde avec moi l’océan.
... Je suis devenu à moi seul une institution...
Un papillon fuit la marée.
Le grondement du tonnerre interrompt mes pensées.

Je me dis que je suis ici, sur cette île de 122 km2, depuis quatre ans. Banni. En me préparant peut-être un cancer de l’estomac, merde.
Certains se souviendront de mes campagnes, de la création du sénat, des lycées, du baccalauréat, du code civil, du code pénal, de la création d’une administration centralisée, des caisses de l’état renflouées. D’autres de mes défaites, des mes assassinats, de tout ce que j’ai fait pour mon propre profit, de mes désirs de gloire, de mes mensonges. D’autres encore de la découverte de la Pierre de Rosette lors de ma campagne d’Egypte, des innombrables tableaux que j’ai commandé, de l’Arc de Triomphe de l’Etoile, de la colonne Vendôme... et j'en oublie bien sûr (ben oui, on ne peut pas souvenir de tout)

Mais dans le monde entier et pour des générations encore on connaîtra mon nom, comme tant l’ont déjà scandé et acclamé.

Mais je suis juste là, sur cette île.
A vivre de mes souvenirs de conquête (je vous les ai fait courts hein, parce qu’il serait temps d’arriver à la chute, d’autant qu’elle est pathétique je crois bien).
Et en cet instant précis, alors que je viens de me rassasier à la source virile (ah ben tiens) de mes exploits passés, je m’interroge (ah bon?). Blanchette la chèvre me regarde alors que je soupire, et que je me dis que peut-être, j’aurais préféré être tranquille, en paix avec moi-même, à apprécier la compagnie simple d’une petite chèvre.


Que tout aurait été différent si j'avais pu accepter d’avoir une petite bique.

(NDLR : ce texte ne vaut que par les heuuuuures de recherches sur les espèces endémiques de l’île de Sainte-Hélène -vous le saviez, vous, que le wirebird ne vivait que dans cette île??- , et les appellations des mois du calendrier républicain et aussi, bien évidemment, par la synthèse très synthétique de la vie de Napoléon et de sa petite biquette.)



mercredi 13 juin 2007

Schizo-Laurine

Je m’apprêtais à ouvrir une bouteille de lait lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air enfantin quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Laurine.

Aujourd’hui je monte au ciel.
Avec mon p’tit caillou.
Hibou, chou, pou, genou.
Il l’aura bien voulu. Na, je pars, j’m’en vais.
Tout est sa faute à lui,
Il me r’gardait jamais.

J’ai sept ans, et alors?
Pour atteindre le ciel, c’est un bel âge, sept ans.
L’âge des premiers émois, des tout derniers serments,
Du goût de l’amande douce qu’on découvre en léchant
La colle Cléopâtre. L’âge où tout a du charme,
L’âge où toute une vie se passe à la récré,
Où les plus beaux pupîtres sont ceux qui sont gravés,
L’âge où les souvenirs ne durent qu’une larme,
Mais l’âge où cette larme dure une éternité.

François m’a fait pleurer.

En se mordant les doigts il se souviendra d’moi,
La fille qui est passée de la terre aux nuages,
La gosse de sept ans aux bons points, aux images,
La gamine trop sage, mais l’enfant aux abois,
L’amoureuse déçue dans sa jupette à pois.
Comme seule arme, un caillou.
Un tout petit caillou.
Il est long, le chemin, pour arriver au ciel.
La vache, elle est immense,
Cette marelle.
En plus, mon truc à moi, c’est la corde à sauter.
Sacré François, bon dieu, t’as intérêt à m’regarder !

jeudi 7 juin 2007

Schizo-Lui

Je m’apprêtais à ouvrir le boitier d’un DVD lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air confiné quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Lui.

“Laisse-moi sortir”, hurlai-je en tambourinant à la porte.
“Laisse moi sortir.", répétai-je en regardant mes poings impuissants glisser sur la paroi.
“Laisse-moi sortir bordel.”, chuchotai-je en m’écroulant.
“S’il te plaît.”
“Je ferai ce que tu voudras.”
- “Tu mens.”, entendis-je en réponse comme un deuxième verrou qui grince, le cliquettis des clefs s’éloignant comme le pas d’un bourreau qui attend l’heure sans trop savoir quand elle viendra la garce.

Je me suis assis. Par terre sur le sale. Comme dans le vide. Recroquevillé comme un foetus dans un bocal de formol. M’étiolant dans les produits chimiques. Me ratatinant dans l’oubli. Dans la haine. La rancune.
- “Laisse-moi sortir et l’Everest ne sera plus qu’un petit tas minuscule dans un bac à sable pour fourmis. Laisse-moi sortir et les nuages seront gonflés de lumière comme des raisins de Californie. Le soleil au zénith embrasera le ciel comme s’il se couchait à chaque seconde. La pluie s’envolera. Je t'offrirai le monde. Laisse-moi sortir.”
- “Ta gueule.” . Et une gamelle de bouillon infect et grumeleux comme une plaie purulente me fut jetée au visage, ses morceaux sur le sol de ma prison, des rats gloutons s’en emparant comme des trésors.

“Laisse-moi sortir et chacun de tes réveils résonnera du clairon de l’aventure. Chaque seconde sera délectable. Tu voleras. Laisse-moi sortir.”
On me hurla “Tais-toi”. Une trappe au plafond s’ouvrit et l’on me balança un seau d’excréments qui glissa sur moi comme une horde de cauchemars.

Les murs commencèrent à bouger. Se rapprochèrent. Le droit sur le gauche. Les rats délaissèrent les restes de soupe immonde et s’enfuirent.
“Laisse-moi sortir. Je t’offrirai des sourires gigantesques à n’en plus finir, une exhaltation permanente, éternelle. Laisse-moi sortir.”
En réponse il n’y eut rien, que les murs continuant leur affolante progression. Et moi cherchant un moyen de m’aplatir pour qu’eux n’en aient pas l’occasion.

“Laisse-moi sortir. Je ferai bruisser les feuilles des arbres dans tes phares, comme de jolies pièces dorées sous une lumière poussièreuse. Je te donnerai la mer à regarder, les cormorans et leur ballet, un chat qui dort sans se soucier de rien, sans vibrer les oreilles, au paradis. Je te donnerai un sourire dans l’ascenseur, une blague devant la machine à café, un verre offert, un fou rire partagé. Je t’offrirai un pote qui se marie, le bébé d’une amie, sur le tapis vert la noire en finish en deux bandes sans mettre la blanche, un bon livre, un chouette film, une jolie découverte, un sourire au coin d’une rue, une belle plongée, un mauvais rhume qui se finit, des jours qui passent, des projets qui se forment. Laisse-moi sortir.”

Les murs se figent. Discrètement des pas s’approchent. Cette fois les clefs tintent comme du cristal. La porte s’ouvre dans un rai de lumière qui me brûle les yeux.

Je m’épuise quand je suis grand. Petit, je renais à chaque instant. Et les humains après tout ne sont pas dupes.

Je m’élance dans la vie. Vous avez déjà vu, vous, un bonheur qui sourit ?

samedi 2 juin 2007

Schizo-Cendrillard

Je m’apprêtais à ouvrir le sèche-linge lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air léger de conte de fées quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Cendrillard.

6h30, le matin. L’heure où les oiseaux, les plumes encore bouffies de sommeil, entonnent le réveil de la nature.
- “Quoiii ? Ouais, plus tard....” grogne Cendrillard.

9h. Le soleil est déjà haut et Cendrillard se cache les yeux du bras, par flemme d’aller ouvrir les rideaux.
- “Quoiiii !!?? Ouais, je saiiiis, j’vais l’faire !” repond-il d’une voix pateuse.

10h.
- “Oh cornebistouille z’êtes relou ! j’suis fatigué !” s’excuse Cendrillard.

11h. Cendrillard se lève enfin, descend en calebard de laine, une main sur l’entrejambe. Il regarde le logis rutilant, plus une poussière, et ne comprend pas vraiment pourquoi ses deux soeurs lui jettent des regards noirs et son bol de porridge au mil au visage. Il maugrée en cherchant sa pipe, en se disant que leurs hormones leurs jouent encore des tours de pasbelles. ll rit de sa blague et laisse son bol vide pour aller jouer à la console que la fée Supermarché lui a offert. On est samedi après tout.

15h, épuisé d’avoir vaincu le dragon au niveau 13, il s’assoupit comme un prince charmant.

19h. Ses soeurs surexcitées entrent en trombe dans sa chambre en foutoir, sapées comme des princesses. Elles comptent sur lui pour les emmener au bal, comme il l’avait promis.

20h. Cendrillard s’en va rejoindre ses potes à l'auberge. Ses deux soeurs en pleurs décident de se faire une soirée cheminée en se goinfrant de citrouille glacée, pour oublier.

Schizo-Marc-Roberto

Je m’apprêtais à ouvrir ma valise lorsqu’à l’intérieur de moi quelques uns ont frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air moite quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Marc et Roberto.

L’homme est tatoué. Un Neptune grimaçant déchaîne les océans sur son dos en sueur et une femme se répand en extase sur le rocher de son omoplate, comme si l’écume de cette nature en furie divine giclait sur elle comme dans un film de cul.
Il est au téléphone, les trous de sa peau vérolée en contact moite avec le combiné; calme et froid dans cette chaleur étouffante; des filets de sueurs ravinant sa tempe. Rangeant son portable dans la poche de son treillis élimé, il se tourne vers moi. Dans un ralenti de cinéma il hausse les épaules comme pour s’excuser de ce contre-temps, et crache par terre. Sa salive échoue parmi les mégots. Et une eau sale continue à s’échapper d’un tuyau rouillé.

Je n’ai rien d’autre à faire donc j’attends.

Il décapsule une bière et s’affale sur un tabouret bancal. M’en propose une et sourit, comme par évidence, quand je décline du regard.
- “Elle me quitte.” m'avoue-t-il.

Je cligne des yeux.

“Au téléphone, là. Elle m’a quitté. J’lui demande pourquoi et elle me répond “ Tu n’m'as pas demandé pourquoi je t’aimais. Là c’est pareil. Y’a pas plus de raisons.” T’y crois toi?” Une gorgée de bière. “Tu sais qu’le môme c’est même pas l’mien?... un chouette gamin... j’le verrai plus mais c’est pas l’mien tu vois?”

Je lève les yeux au ciel pour partager son instant d’impuissance. La goutte de sueur sur mon nez me gratte. Je secoue la tête. Elle s’envole.

“Crois-moi j’aimerais ne pas être ici. Avec toi. Enfermé dans cette histoire. J’fais ça depuis trop longtemps. Pourquoi les histoires nous kidnappent comme ça, les portes qui s’ouvrent sans qu’on le veuille, et qui se r’ferment ? Et nous dans la pièce, coincés comme des porcs qui ne crient qu’à l’intérieur? Tu crois au Paradis ?” Il rit en encaînant avec dégoût “Sûr. L’enfer est déjà sur terre.” Il jette la canette sans la broyer avec son majeur manquant. “Le destin se charge de faire pour nous les choix. J’suis là pour ça, pour que l’destin il s’marre. Il est plus fort que nous. Bien plus fort.”

Je ne cille pas.

“ Tu t’sens libre toi?” Il se lève, je ne bouge pas. “Tu n’vis pas ici toi, y’a des endroits où on est libres ? J’dis ça parce quand ils vont arriver” il regarde sa montre “... ça va barder. Y’a rien de personnel mais ça tu l’sais. Enfin j’te l’dis. Si j’te dis ça, et j’te parle pas d’liberté physique, han han, c’est que tu as dix minutes au max pour creuser un trou dans ta cervelle et y puiser le ressort pour mourir en homme libre. Dis-toi qu’le corps c’est rien”.
Il s’en va humer l’air un peu plus frais au dehors du hangar.
Dans un rai de soleil dans un coin il y a un rat qui passe. Et qui file dans un trou.

Quand il revient il me semble moins inconnu. Il s’arrête à quelques pas de moi. Il regarde l’endroit, les vieilles tuyauteries, le béton qui pourrit et les amas de tôles disséminés un peu partout dans ce hangar oublié.
Et le vieux sang, et le sang plus frais sur le sol, en divers endroits. Tests de Rorschar pourpres. Lie de vin foutu. Ou noirs. Sur le sol sale. Du genre qu’est-ce que tu vois ? Je vois mon futur. Je vois les prochaines minutes, heures, qui sait.
Il balaie du regard et du coeur tout ça. Longtemps. Jusqu’à ce qu’une voiture approche. Que le moteur se coupe. Et que j’entende quatre portières claquer.
Il a raison, rien de personnel. Juste un autre type qui de l’argent, du pouvoir, qui en a fait le tour, et qui veut plus, ce que peu peuvent se permettre, ce qui le convaincra d'être l'homme spécial et rare qui aura l'infini pouvoir de se l'autoriser sans états d'âme. Qui va me torturer. Jusqu’au bout. Combien de temps? Et regarder le film. Encore. Jusqu’à ce qu’il en soit las aussi.

Alors que les voix se font plus proches, l’homme au tatouage de Neptune plante son regard dans le mien. Fait trois pas vers moi. Se penche à mon oreille. Et m’y glisse comme dans un râle de vivant “Je vais t’enlever le chatterton de la bouche. Avant qu’ils arrivent. Parce que peut-être tu veux dire quelquechose. Parce que ce sera la dernière fois. Tu sais”. Il a donc enlevé le chatterton, presque doucement.
Et je lui ai juste chuchoté “Tu veux être libre?”
Il m’a répondu “Je ne demande que ça. Tu l’es déjà toi...?”
“Oui” ai-je répondu en souriant, en regardant son Beretta. Il n’a pas semblé comprendre sur le moment.
Alors j’ai juste fermé les yeux. Et ai murmuré “je m’appelle Marc.”

J’ai remis le chatterton sur la bouche de Marc. Pour rien. Par habitude. Il avait dit tout ce qu’il avait à dire. Mon boss et ses amis sont maintenant derrière moi.
Mon travail était fini.
Leur jeu allait commencer.

Seulement cette fois-ci ce n’est plus une histoire de portes qui enferment. C’est une histoire de clefs. Peu importent les raisons qui nous poussent à ouvrir les portes. Entre le pire qui puisse nous arriver et le pire qu’on pensait, il y a toujours un choix. Deux, dans ce cas-là.
Marco n’a pas ouvert les yeux lorque ma balle s’est logée dans son front. Les poings liés à la chaise, il s’est écroulé dans un sourire de vainqueur.

Moi je ne ferme pas les yeux. Je regarde un rai de soleil, et un rat qui sort de son trou.
Combien de temps avant la détonation ?
J’entends quatre pistolets qui s’arment.
Je m’appelle Roberto. Et la liberté n’est qu’un prélude. J’ai quelques secondes pour la savourer.
Quelques secondes pour y penser.
Y’a pas de rédemption. Le paradis, c’est juste la fin d’l’enfer.