lundi 30 juillet 2007

Schizo-Estelle

Je m’apprêtais à ouvrir un stylo lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air trop connu quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Estelle.

Oui. Une fois n’est pas coutume, je me suis retrouvée coincée en huis clos avec moi-même. Et merde. Il semblerait que ces derniers temps, de moins en moins d’autres personnalités se bousculent au portillon de mon neurone, et j’ai une explication : il y a déjà beaucoup trop de choses dans ma petite tête. Alors je tente une thérapie par l’écrit, parce qu’il me tarde de virer le videur qui refoule tout le monde à l'entrée.

Ça fait huit ans que je suis dans la pub. Imaginez mon quotidien : déconne, putes et coke à gogo comme dans les années 80.
Moins les putes et la coke et la déconne, parce que justement, on n’y est plus, dans les années 80. Donc, juste des journées normales, des fous rires, de la création, des nuits blanches au bureau mais pas trop, des pétages de plomb "nan vraiment le client est trop con" et parfois des voyages à pétaouchnok aux frais de la princesse parce qu’on a bien prit soin d’installer l’histoire dans le Grand Canyon, près des chutes du Niagara, ou dans la pampa mexicaine.
Longtemps je ne me suis pas couchée de bonne heure et j’ai aimé, d’une façon très égoïste de petite fille gâtée, mon métier -parce qu’il change tous les jours et qu’en majorité, ce qu’on me demande c’est d’avoir des idées- qui me l’a bien rendu de surcroît, quelques récompenses par-ci par là dans les concours internationaux, et la possibilité de me faire embaucher partout dans le monde.
Et puis la lassitude s’est installée. Puis la trentaine. Et la lassitude s’est gentiment transformée, sinon en haine, du moins en dégoût.
Et un matin j’ai dû mettre mes chaussures à l’envers pour tromper l’impression d’aller au boulot à reculons.

Et puis la décision a été prise.
Et dans un mois et demi je quitte mon taf, treize ans de ma vie études comprises, la Nouvelle-Zélande, pour l'inconnu. Je m'apprête à tourner la dernière page d’un bouquin mille fois terminé, claquant la dernière de couv d’une gifle de la main, pour en ouvrir un autre... dont les pages sont vierges... encore plus que Marie.
Jusque là me direz-vous, mouais, y’a du changement dans l’air, et alors ?

Ouais ben dans cinquante jours j’aurai vendu (ou donné) toute ma vie, tout, tout, TOUT, meubles, matos, fringues (j'suis pas matérialiste m'enfin mes jolies bottes là...!) pour repartir à zéro avec un sac à dos de 20 kg, ni plus, ni moins, avec un stop d’un mois en Australie pour passer quelques diplômes de plongée (j'ai décidé de faire de ma passion un métier -gardant une place pour les opportunités que les voyages et la vie peuvent apporter- et de pouvoir enfin vivre aux côtés de mon amour) et après... après ben je ne sais toujours pas.
Et je ne le saurai qu’en octobre, c’est à dire, une fois que j’aurai tout plaqué (parce que les projets à deux, ça ne se fait que lentement à 15000 bornes de distance. Et puis d’ici là, il m’aimera toujours ? Il n’aura rencontré personne ? Comme ça par hasard ? Ça a tenu jusque là mais la vie est garce parfois alors ça tiendra encore ?...).

Et bien moi qui n’ai jamais eu les deux pieds bien sur Terre, à la rigueur juste un orteil, et encore, de temps en temps, et bien là j’ai la frousse. La pétoche. La trouille de l’incertitude au ventre. Des petits vers qui rongent mes entrailles la nuit et font le ram-dam dans mes insomnies. Parce que pour une fois je n’arrive pas à me projeter dans l’inconnu. Parce que cette fois-ci, ce n’est pas juste un rêve : c’est la vie.
Certains jours je gère l’impatience et l’angoisse. Et d’autres je tombe. Je voudrais pouvoir accélérer le temps, dire merde aux secondes. Mais la pendule de l'existence fait "tic-tac", comme un "non-non, c’est comme ça, t’es coincée pour l’instant", avec ce truc qui grouille en toi comme une fièvre.
Je ne suis plus qu’une boule de stress qui avance certains jours en zombie anesthésiée par le manque de sommeil, et le lendemain explose en torrents de spasmes et de larmes sans rien contrôler. Et les heures qui passent comme des années sans s’en soucier.

Sinon, aujourd’hui, dans le monde, 18000 enfants sont morts de faim, 8000 personnes sont mortes du sida, dont 1000 enfants, combien de civils lors des conflits armés, ça je n’ai pas réussi à trouver de chiffres fiables pour faire un calcul, pareil pour le nombre de femmes violées, battues, etc (un recensement difficile), 1 400 000 enfants prostitués ont eu une journée d’enfer (juste en Inde, Thaïlande, Taiwan, USA, Chine populaire et enfants de l’Europe de l’est se prostituant à l’ouest), 200 à 250 millions d’adultes se sont levés ce matin et se coucheront ce soir (s’ils en ont le droit) en esclaves “modernes”, 100 espèces animales ont disparu et 73 km2 de forêt amazonienne ont été détruits (juste cette forêt-là hein)…


Je sais. Mais mon cerveau n’arrive pas à relativiser. Un bug.
J’vous l’dis : j’ai une frousse comme jamais. Et elle est incontrôlable. Et je suis seule, ici au pays du long nuage blanc, sans ma famille, sans mon amour, sans mes amis, enfin ceux d’avant, ceux de France. Et certains matins j’ai l’impression que mon coeur va s’arrêter et que je vais basculer. Je croyais que j’étais plus forte. Zut.
Alors je me mets dans mon rocking-chair imaginaire, et je ferme les yeux, comme ça en les crispant très fort, me balançant au son du tic-tac d’une pendule dans ma tête, comme une enfant, en me disant que lorsque je les ouvrirai tout cela sera fini, cet entre-deux bâtard.
Mais ça ne marche jamais.

Reste à respirer profondément et à me préparer pour les cinquante jours les plus longs. C'est un gouffre sans fin ce no man's land entre deux livres, avec mon petit moi encore en train de fermer le précédent et sans avoir encore ouvert le prochain. Et serai-je capable de l'écrire, le prochain ? Je saurai faire ? Hein ? Sa-aaa-aaa-mmmmmyyy j'ai peeeeeuuuur...

vendredi 27 juillet 2007

Shizo-Alicia

Je m’apprêtais à ouvrir une huître lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air résigné quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Alicia.

Le plus grand génocide jamais vu.
Éradiquer une espèce entière et faire valdinguer plus de trois millions d’années d’évolution.
Sans que personne ne s’en rende compte.

L’écho de ces trois phrases ricochait sans fin sur les parois de mon esprit morne, et tandis que Rob mettait une touche finale à la machine (il a toujours été maniaque, à recompter dix fois les additions au restaurant, à remonter quatre à quatre les marches de l’escalier trois fois pour être sûr que la porte était bien fermée, à plonger sa main deux fois dans la boîte aux lettres pour se convaincre que l’enveloppe était correctement rentrée, un maniaque Rob, mais ça n’a jamais autant valu le coup qu’aujourd’hui), je regardais sans larmes un reportage de la chaîne AGIR : devant les dix derniers hectares de la forêt amazonienne une foule s’amassait.

Des bébés trop jeunes pour comprendre qu’il leur faudrait ad vitam eternam porter un masque pour pouvoir respirer ; finies les enlaçades spontanées, oubliés les premiers baisers comme quand il suffisait que deux bouches se rapprochent pour faire suffoquer deux cœurs.
Des femmes trop mûres pour oublier le temps d’avant ; terminés les espoirs et les rêves d’antan, toutes avec la certitude qui troue le cœur d’avoir fait la pire chose en faisant un enfant.
Des hommes venus du monde entier la rage au poing et la souffrance à fleur de poil ; vain l’espoir qu’une bataille pourrait faire changer le monde, et leurs mains qui se rentrent en pleurs dans leurs poches.
Tous impuissants. Petits et grands. À regarder l’un des derniers symboles d’une humanité responsable foutre le camp. Et à ressentir toute l’irrévocable tristesse de leurs frères, l’échine courbée, qui attaquent à la tronçonneuse les derniers arbres.
Tous ressentant au tréfond de leur âme cette grande maladie de la civilisation, les uns les yeux au sol comme s’ils attendaient un miracle de la planète, les autres les yeux aux ciel comme s’ils n’attendaient plus rien de l’Homme.
Et les bébés qui pleurent. Parce qu’ils ont faim. Ou souillé leur couche.

Rob vérifiait une dernière fois la machine. J’ai éteint le téléviseur comme on éteint un mauvais rêve. Et me suis endormie d’un sommeil lourd parce que c’était le dernier.

En partant le lendemain alors que la machine s’élevait dans le salon, j’ignorais dans le hublot la photo de mes parents dans un cadre vieilli, le bouquet de roses qui commençait à fâner comme quand on dit aurevoir juste pour nous préparer, un pétale par-ci, un par là, pour nous habituer, pour que ce soit plus doux peut-être, ma bibliothèque où des siècles de pensée, d’analyse, de société, s’étalaient sur les étagères comme dans un hamam de vérité.
Non, le seul hublot, c’était les yeux de Rob. Et la certitude d’avoir fait le bon choix.

Quand nous sommes arrivés quelques trois millions d’années avant, j’ai comme eu la nausée. Un groupe d’Homo Habilis hurlait à l’atterrissage de la machine : trop d’étincelles, de fumée et d’odeurs inconnues.
Les femmes protégeaient leurs petits, les hommes hurlaient des sons gutturaux pour protéger leur clan, et à l’écart un adolescent nous regardait avec amusement, une main sur une plante, presqu’avec tendresse, pour la prévenir du vent de la machine qui aurait pu la déraciner.

Et Rob a commencé.
Il a ouvert la fiole.
Le gaz s’est répandu.
Sans que personne ne s’en aperçoive.
Un gaz qui rendait toutes les femmes, fillettes, nouvelles-nées, et même fœtus, stériles.
Et ma respiration restait la même, derrière le hublot. Calme comme un sommeil sans fin. À vivre aux premières loges la toute fin de l’humanité. Sans que quiconque à part Rob et moi ne s’en aperçoive. Il était là le plan grandiose. Mettre un terme. Annuler tout et on repart à zéro. L'humain en moins.
Nous sommes allés de clans en clans, de grottes en grottes, de plaines en plaines, de montagnes en montagnes, traquant pour une chasse sans souffrance les premiers hommes. Rob ouvrant à chaque fois une autre fiole.
Moi ouvrant à chaque fois les mêmes yeux sans détresse.
Un génocide sans fin. Le génocide du genre humain.


Puis ça a été l’heure du dernier clan. Et j’ai regardé Rob et lui ai demandé de sortir de la machine.
« Pourquoi ? »
« Parce que je veux être avec ma famille. » Oui j’ai répondu « ma famille », comme ça, pour rien, juste parce que c’était la fin.

Il a aquiécé avec une once de tristesse, et a remonté le masque à gaz sur mon nez.
« Pourquoi ? », ai-je lancé à mon tour laconiquement, « ton gaz n’est pas mortel ». Et j’ai rit. De l’insolence pathétique de la situation. Parce que dans une toute petite fiole grande comme mon petit doigt se trouvait la fin de l’humanité. Certes la fin du pire, mais probablement aussi la fin du meilleur. Question de balance : le pire accède toujours au pouvoir; le bon se bat, mais c'est le pire qui gagne. Parce que lorsque le bon n'a à gagner que le meilleur, le pire sort griffes et ongles pour ne rien perdre, de ses acquis criant victoire sur un charnier de conscience.

Et tout ça m’a donné envie de vomir. Une nausée comme on peut en avoir quand on regarde une vie qu’on a gâchée. Les hauts le cœur que seules les décisions irrévocables peuvent donner. Et le malaise qu’offre le pouvoir de s’y autoriser.
Et puis c'est passé.

Et sous mon masque à gaz de loin
j’ai regardé le clan. Tout au fait de ce qu’on nomme la préhistoire, en plein dans la survie, et aussi dans toutes les petites histoires de la vie. La femme Homo Habilis donnant le sein en carressant la tête de son petit, les yeux anxieux sur l’orée de la forêt, attentive au danger, prompte à la réaction et la main sur une pierre coupante. Les paumes ocres de ce membre du clan, sortant de la grotte et se frottant les mains dans l’herbe pour en enlever les pigments qui eux resteront à jamais, du moins jusqu’à mon ancien temps, les prémices d’un langage. L’aube d’une société. La naissance de l’écrit. La transmission d’un savoir. D’une sagesse. Et plus loin une femme, sans qu'aucun membre du clan n'y prête la moindre intention, s'échinait à recouvrir de terre un corps, à un endroit qu'elle pourra retrouver si elle en a envie, un jour.

Et la fiole était vide. Et Rob l’a jétée contre un rocher.
Il a mis le feu à la machine. Un grand brasier qui a apeuré le clan tout entier.
Puis il m’a tendu la capsule de cyanure avancé qu’on a développé en l’an 2230, avec un genre de LSD en plus, et l’on meurt comme si c’était le plus beau moment de notre vie.

Elle a craqué sous ses dents.
Et je l’ai regardé dans les yeux lorsqu'ils se sont révulsés. Partis ailleurs. Et j’ai carressé mon ventre.

J’ai de nouveau eu la nausée.
J’espère que ce sera une fille.
Ma main a lâché la capsule, qui a roulé sur la terre.

Longtemps j'aurai en mémoire le regard de Rob, et cet éclat qui disait... je comprends, tant mieux.
Quelques brins d'herbes dansant au gré du vent plus tard, dos au corps de mon mari, une femme s'est approchée. Si doucement que je ne l'ai pas entendue.
Elle a posé sa main sur la mienne. Et juste comme ça, on a attendu.

lundi 16 juillet 2007

Schizo-Ratana

Je m’apprêtais à ouvrir un flacon de shampoing lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air empuanti quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Ratana.

Les autres enfants cherchent du plastique à revendre, de la ferraille, les pieds dans la puanteurs et les déchets, les mains dans les immondices, ils cherchent de vieux bijoux, ils cherchent tout ce qui est réutilisable, échangeable, vendable, recyclable. Pour quelques infimes riels. Et ça pue partout sous le soleil. Et les bennes continuent leur incessant ballet, entassent et tassent, et tout le monde continue à se pencher sur les mouches, dans une quête quotidienne pour survivre.

Ici, tout le monde cherche à se réveiller le lendemain. Pour pouvoir recommencer à engloutir ses mains dans la décharge publique. Pour continuer à survivre à Steung Mean Chey.
Tout le monde cherche quelque chose. Sathia cherche des bouts de métal qu’elles pourra revendre peut-être et nourrir son petit frère, avec sa maladie de peau qui le gratte à hurler, avec du pus parfois qui croûte en creusant. Vithea cherche des restes à manger que ni les pauvres de la ville ni les chiens faméliques n’auraient encore trouvés. Kimchheang s’essouffle à chercher un plus grand carton, un plus grand sac plastique pour être un peu plus à l’abri des pluies qui ne vont pas tarder, dans sa cabane de fortune.
Et moi depuis quelques temps je marche, un pied qui farfouille dans la décharge, sans jamais me baisser et prendre quoi que ce soit. Tout le monde cherche quelque chose et tout le monde sait quoi.
Sauf moi.
Des chercheurs de survie je les appelle.

Oh je retourne bien quelques immondices, comme ça, par habitude, mais sans vraiment y penser, c’est juste parce que moi aussi je vis là, mais je ne récupère plus rien, je ne me penche plus, je ne me précipite plus à chaque nouvelle benne qui se déverse, jouant des coudes pour glaner un morceau de poulet qui aurait trainé près d’un rat mort dans une poubelle. Je suis un peu à l’écart. Et parfois je me pose là, à l’est de la décharge, sur un vieux bidon, et je regarde le soleil qui fait fondre des bouts de plastique, et les petits arcs-en-ciel sur ce papier graisseux que les mouches soudain envahissent comme une minuscule marée d’un noir brillant, avec des morceaux de vert métallique sur leur dos comme des poissons qui bondiraient. Et puis zoup, un vrombissement et plus rien. Et le petit arc-en-ciel a disparu.
De loin j’entends Rany et Dadano qui disent que je maigris. Ils disent ça et puis c’est tout parce que "Regarde, une canette !".

Mais tous les soirs, quand le soleil se couche et que même les insectes s’en vont, y’a mes copains qui viennent, de ce côté-ci de la décharge. Plein d’enfants, un à un, silencieux, qui s’accroupissent en cercle devant moi, et leurs yeux sont ouverts en corolles comme s’ils se réveillaient.
Hier je leur ai conté ma plus belle histoire.
Je leur ai dit “Tout à l’heure, j’ai trouvé une vielle lampe. Toute cabossée, mais avec une jolie teinte sous sa crasse. Je l’ai essuyée sur mon pantalon, elle était toute belle après, même ses gnons étaient jolis. Et là, il y a eu une grosse fumée et c’était comme si elle se gonflait, comme une voile de bateau vous voyez? Et là un monsieur fait de fumée est sorti.”

Ni Vithéa ni Kimchheang ni même Rany ne m’ont interrompu. Mais comme un long frisson parcourait les rangs des enfants.
- “C’était magique. Il m’a demandé ce que je voulais. Je pouvais tout lui demander, tout tout tout, il pouvait tout exaucer.”
- “Et tu lui a dit quoi, Ratana ?”... “Que tu voulais partir de là !!” a crié l’un ... “ Sur ton beau bateau qui serait rien qu’à toi !!” a gloussé l’autre “Je sais je sais, tu irais à Krong Ko Kong et puis ce n’serait plus que toi, et la mer!!” ...“Et les poissons !! du poisson frais comme s’il tombait tout seul dans ton bateau!!”... “Parce que c’est ça que tu veux?!” a ajouté l’un d’entre eux.
“ Nan. Je lui ai dit que je voulais ça.”
Et je leur ai montré du bras un petit cadre en bois que j’avais accroché à une ficelle, pas très haut, sur un vieux mat pourri. Juste un cadre, avec rien dedans. Mais joli, avec des petites peintures ou ce qu’il en reste dessus.
Ils se sont tous levés, sauf Ny qui faisait la moue, parce qu’elle n’avait plus de famille et qu’à six ans c’est dur. Ils ont regardé le cadre, passé la main au travers et quelqu’un a dit “Mais y’a rien dans ton cadre??!”
“ En réalité il y a tout.”
Ils se sont accroupis à nouveau.
“ Dedans il y a vos rêves. À tous. Et chaque soir vous pourrez venir les regarder. Dans le cadre. Il est magique...”

C’est Ny qui s’est levée la première. J’ai dû la prendre dans mes bras pour qu’elle puisse être à la bonne hauteur. Son petit nez juste au milieu du rien dans le cadre. Et elle a juste dit : “Oh oui, c’est vrai. Je les vois. Qu'ils sont jolis.”
Et tous les gamins ont fait une file.

Je ne sais plus ce que je cherche.
Je ne le saurai que lorsque je l’aurai trouvé.
Jusque là, vivre, c'est rêver.
Quant à survivre... Ça ne gargouille même plus dans mon estomac.



lundi 9 juillet 2007

Schizo-Nina

Je m’apprêtais à ouvrir les yeux lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’eau quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Nina.

On dirait que le monde s’inverse. Quand il pleut. On marche dans des miroirs.
Les pieds dans des immeubles sombres, le bout des bottes crevant le ciel d’un gris de vieux coton, le corps entre deux infinis du monde, et mon tout petit moi qui lève le nez comme pour me noyer dans rien. Quand il pleut rien ne peut arriver puisque le monde est déjà en larmes. Et ça coule en faisant du bien.
Les oiseaux se terrent en silence, peut-être se chuchotent-ils des histoires de soleil en gonflant leurs plumes, une petite couette d’espoir en attendant les escargots. Les escargots eux étirent leurs tentacules et quittent paresseusement qui l’abri d’un buisson qui un dessous de feuille sans se soucier de l’après. Mais pas ici car c’est l’hiver.

Je n’entends rien que les voitures et les humains qui se contractent et courent en pensant éviter l’inévitable. La pluie donne des espoirs un peu fous. Je reste là sans bouger, elle en rigoles sur mes tempes qui battent le froid.
J’aime la pluie. Elle est si pleine d’un vide à remplir. Et si docile : je sais bien qu’elle exaucera mes rêves et qu’un jour elle s’arrêtera. Demain peut-être.
Elle remballera ses miroirs qui ouvrent sous nos pas comme un monde d’en bas.
Elle cessera ses rideaux tombant des auvents qui rendent les jardins flous.
Essoufflée elle arrêtera de danser avec les mégots dans les tourbillons des caniveaux.

Et si elle ne cesse pas alors j’aurai de la chance : je pourrai continuer à rêver au soleil.

J’aime le soleil.
Les escargots qui dorment et les sons de la vie qui ne sont plus assourdis comme dans une antichambre.
Le ciel qui reste en haut, le bitume qui ne joue pas aux abysses.
Le bon sens qui se rétablit.

J’aime le soleil parce que c’est facile. J’aime la pluie parce que je n’ai pas le choix : n'avoir que le curieux pouvoir d'une attente rêveuse laisse sur mes papilles l'arrière-goût apaisant d'une tisane de camomille.

vendredi 6 juillet 2007

Schizo-Soren Thomas Vergeon

(NDLR : ce texte fait partie d'un jeu, dont vous pouvez voir les modalités à la note précédente : grosso modo, créer un texte en suivant le cahier des charges fourni par mes blogopotes)

Je m’apprêtais à ouvrir une bouteille de Pastis lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air qui sent bon l’assouplissant à la lavande sur chemisette à fleurs quand j’ai entrebâillé ma tête, et laissé entrer Soren Thomas Vergeon.

Longtemps je me suis couché de bonne heure. Les apéros prolongés du midi qui exhalaient leurs saveurs anisées en étirant leurs vapeurs comme de longs bras tentaculaires jusqu’au soir n’y étant probablement pas étrangers. Longtemps je me suis couché de bonne heure, mais depuis une semaine, l’excitation refusait son droit d’entrée à Morphée, « tss tss, pas de baskets, pas de dieu grec. »
Le ministère de l’émigration m’avait contacté : demain je serai conduit aux frontières de Jupiter. Comme tant d’autres. Depuis sept mois, la grande migration terrestre avait commencé. Les humains pouvant y participer étaient triés sur le volet : pas de casier judiciaire, pas d’addiction d’aucune sorte (la surconsommation de boissons alcoolisées ne rentrant heureusement pas en ligne de compte) et chacun se voyait confier ce qu’ils appelaient un couple « d’animaux totems » : dans ces grands vaisseaux spatiaux de Noé chargés du peuplement de Jupiter afin d’en faire une nouvelle Terre, chaque humain avait pour mission de prendre soin de deux animaux de sexe opposés. Chacun serait chargé de leur protection, et faillir à cette mission engendrait de sévères peines ; les humains avaient tant décimé la faune qu’il leur était maintenant donné l’opportunité de se « racheter » afin de recréer sur une autre planète un écosystème viable, ou humains et animaux vivraient en bonne entente, la superficie de Jupiter permettant la création d’immenses réserves protégées, chacune recréant à la perfection les habitats naturels terrestres de l’intégralité des espèces restantes. Sous un gigantesque dôme de verre, l’atmosphère était reconstituée, sans risque de trou de la couche d’ozone, ce qui me semblait être un excellent point de départ.
Mes animaux totems étaient bien entendu un couple de marmottes, dont je me devais de prendre bien soin, tant lors du voyage qu’après leur arrivée en terra incognita jupiteresque.

Bref, cette nuit là, je ne fermais pas l’oeil. Quand le téléphone se mit à sonner. Une voix de femme hystérique alternait sanglots, petits cris plaintifs et longs soupirs comme sur une partition de musique expérimentale. C’était Shayalimayangan, la femme que j’ai le plus aimé en ce monde. Ma Shaya, mon amour, pour qui j’avais décroché la lune à Bombay, dont j’avais rempli le corps d’étoiles à Alger, et qui m’avait laissé exsangue de sentiments dans un trou noir à Barcelonne. Shaya, enfin, qui m’appelait de Marseille. A vrai dire, j’aurais préféré dormir : cette femme là avait fait des confettis de mon coeur et je n’étais pas prêt à ressortir les langues de belle-mère.
- Soren, il faut que tu m’aides.
- Et merde.

Je fonçais à Marseille où je la retrouvais prostrée devant la mer dans une calanque. Quelques cigales insomniaques accompagnait les trémolos de ses sanglots et les basses de ses hauts le coeur. Défoncée à un cocktail de drogues et de médicaments dont je me refusais à faire le compte elle tenait encore son portable enduit de vomi dans sa fine main, la bague que je lui avait offerte au pouce, gluante de bile. Elle était loin ma fougueuse pouliche. Plus qu’une junkie, l’ombre d’elle-même sous un quartier de lune.
Son addiction l’avait doublement perdue : exemptée d’émigration, elle ne pouvait rien faire d’autre que de rester sur Terre en attendant que la chaleur écrasante, 60° en moyenne en France, ou qu’un cancer de la peau ait raison d’elle. Mais avec de la chance les drogues résoudront le problème avant.
Elle voulait juste que je fasse jouer mes relations, qu’elle puisse partir, tu sais Soren, je veux revivre, toi et moi on peut, tout serait comme avant, tu sais, quand tu m’aimais, tu m’aimes encore Soren ? Tu m’aimes ?
Alors je l’ai serrée dans mes bras, en caressant ses cheveux plein de sable, mes doigts s’emmêlant dans leurs noeuds de non-vie. Et je lui ai dit que oui, comme on berce une enfant. Je lui ai murmuré qu’elle est la plus belle au monde, que se perdre avec elle valait tous les sentiers tracés de l'univers, que je suis prêt à rester sur Terre avec elle, que les enfers d’ici valent tous les paradis si elle en est le Charon, que mon coeur battra toujours en écho à ses tempes qui palpitent, que je me damnerais pour elle sans un battement de cils.
Elle s’était endormie. Avec la respiration irrégulière qui répond aux drogues. Sur la Méditerranée ou ce qu’il en restait le soleil sortait de son lit pour annoncer la vie. Je l’ai laissée sur le sable et je suis parti. Je lui avais menti. Je ne l’aime plus, c’est fini.
Elle n’aurait pas dû croire que Jupiter était une solution : c’était une récompense.

Trois semaines après, ma vie s’organisait sur cette nouvelle planète. Dans quelques heures je partirai avec mes deux marmottes, repues et en pleine santé, pour les intégrer à leur nouvel habitat, de jolies montagnes verdoyantes que le gouvernement a nommé « les nouvelles Alpes ».
Je suis un peu en retard comme d’habitude et des milliers d’humains avec leurs animaux m’attendent pour relâcher qui leurs ours, qui leurs cerfs, qui leurs araignées, qui leurs rapaces. Le compte à rebours a commencé et tout le monde l’entonne avec exaltation comme au nouvel an. Les animaux sont fébriles, on dirait qu’ils savent ce qui va se passer.
À "trois", on pourrait presque sentir un long frisson sur leurs échines comme une ola.
À "deux" le temps semble s’arrêter.
À "un" ma marmotte femelle me lance un dernier regard.
À "zéro"... elle se jette sur son mâle et lui plante les dents dans la jugulaire qu’elle arrache dans un cri strident, le sang jaillit comme lors d’une exécution et elle recrache une touffe de poils et le tuyau de l’artère avant de se coller à moi comme pour me protéger. Je découvre enfin ce qui se passe alors que la marmotte mâle agonise en soubresauts amers au goût terreux de trahison : tous les humains se débattent et essayent de se protéger des attaques des animaux. Un rapace a déjà percé les yeux de mon voisin qui hurle à terre tandis que l’autre farfouille avec son bec acéré dans son entrejambe ; j’entends comme des plocs de myrtilles qu’on écrase. Les ours sabrent les carotides et les fémorales, les cerfs piétinent les cages thoraxiques, c’est l’apocalypse et je me sens entraîné vers un rocher et ma marmotte me fait entrer dans une grotte.
Le tumulte de la curie a cessé. Quelques râles persistent puis plus rien : ce sont en une minute des milliers d’humains qui gisent sur l’herbe rouge des Nouvelles Alpes.

Ma marmotte me regarde et me dit :
-
Tu sais ça fait longtemps que nous attendions notre revanche. Nous allons faire sur Jupiter ce que vous nous avez fait sur Terre. Mais moi je fais partie d’un mouvement humaniste de protection des hommes. Nous voulons garder quelques uns d’entre vous pour pouvoir vous montrer à notre progéniture.
- Mais tu es la seule marmotte maintenant, tu ne pourras pas te reproduire... ai-je rétorqué, abasourdi.
- Peut-être que si... Si tu m’aimes. Tu m’aimes ?

mercredi 4 juillet 2007

Schizo-?

Je m’apprêtais à ouvrir une bouteille de Pastis lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air quand j’ai entrebâillé ma tête, et laissé entrer… ?.

Alors voilà, sur une idée saugrenue de Mister L.C., je vous propose un petit jeu... Waouh, cool cool, vous dites vous, et vous n’auriez pas tort ;)
La règle du jeu est fastoche : vous écrivez des commentaires et moi après je dois créer le texte qui aurait dû donner lieu à ces commentaires.
Là vous vous dites, quelle grosse feignasse ! mais non non non, parce que j’ai dans l’idée que ça va pas être facile, et pitêt’ bien même que certains vont mesquinement essayer de me piéger ;)

Alors, vous jouez ?