Je m’apprêtais à ouvrir un stylo lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air trop connu quand j’ai entrebâillé ma tête et laissé entrer... Estelle.
Oui. Une fois n’est pas coutume, je me suis retrouvée coincée en huis clos avec moi-même. Et merde. Il semblerait que ces derniers temps, de moins en moins d’autres personnalités se bousculent au portillon de mon neurone, et j’ai une explication : il y a déjà beaucoup trop de choses dans ma petite tête. Alors je tente une thérapie par l’écrit, parce qu’il me tarde de virer le videur qui refoule tout le monde à l'entrée.
Ça fait huit ans que je suis dans la pub. Imaginez mon quotidien : déconne, putes et coke à gogo comme dans les années 80.
Moins les putes et la coke et la déconne, parce que justement, on n’y est plus, dans les années 80. Donc, juste des journées normales, des fous rires, de la création, des nuits blanches au bureau mais pas trop, des pétages de plomb "nan vraiment le client est trop con" et parfois des voyages à pétaouchnok aux frais de la princesse parce qu’on a bien prit soin d’installer l’histoire dans le Grand Canyon, près des chutes du Niagara, ou dans la pampa mexicaine.
Longtemps je ne me suis pas couchée de bonne heure et j’ai aimé, d’une façon très égoïste de petite fille gâtée, mon métier -parce qu’il change tous les jours et qu’en majorité, ce qu’on me demande c’est d’avoir des idées- qui me l’a bien rendu de surcroît, quelques récompenses par-ci par là dans les concours internationaux, et la possibilité de me faire embaucher partout dans le monde.
Et puis la lassitude s’est installée. Puis la trentaine. Et la lassitude s’est gentiment transformée, sinon en haine, du moins en dégoût.
Et un matin j’ai dû mettre mes chaussures à l’envers pour tromper l’impression d’aller au boulot à reculons.
Et puis la décision a été prise.
Et dans un mois et demi je quitte mon taf, treize ans de ma vie études comprises, la Nouvelle-Zélande, pour l'inconnu. Je m'apprête à tourner la dernière page d’un bouquin mille fois terminé, claquant la dernière de couv d’une gifle de la main, pour en ouvrir un autre... dont les pages sont vierges... encore plus que Marie.
Jusque là me direz-vous, mouais, y’a du changement dans l’air, et alors ?
Ouais ben dans cinquante jours j’aurai vendu (ou donné) toute ma vie, tout, tout, TOUT, meubles, matos, fringues (j'suis pas matérialiste m'enfin mes jolies bottes là...!) pour repartir à zéro avec un sac à dos de 20 kg, ni plus, ni moins, avec un stop d’un mois en Australie pour passer quelques diplômes de plongée (j'ai décidé de faire de ma passion un métier -gardant une place pour les opportunités que les voyages et la vie peuvent apporter- et de pouvoir enfin vivre aux côtés de mon amour) et après... après ben je ne sais toujours pas.
Et je ne le saurai qu’en octobre, c’est à dire, une fois que j’aurai tout plaqué (parce que les projets à deux, ça ne se fait que lentement à 15000 bornes de distance. Et puis d’ici là, il m’aimera toujours ? Il n’aura rencontré personne ? Comme ça par hasard ? Ça a tenu jusque là mais la vie est garce parfois alors ça tiendra encore ?...).
Et bien moi qui n’ai jamais eu les deux pieds bien sur Terre, à la rigueur juste un orteil, et encore, de temps en temps, et bien là j’ai la frousse. La pétoche. La trouille de l’incertitude au ventre. Des petits vers qui rongent mes entrailles la nuit et font le ram-dam dans mes insomnies. Parce que pour une fois je n’arrive pas à me projeter dans l’inconnu. Parce que cette fois-ci, ce n’est pas juste un rêve : c’est la vie.
Certains jours je gère l’impatience et l’angoisse. Et d’autres je tombe. Je voudrais pouvoir accélérer le temps, dire merde aux secondes. Mais la pendule de l'existence fait "tic-tac", comme un "non-non, c’est comme ça, t’es coincée pour l’instant", avec ce truc qui grouille en toi comme une fièvre.
Je ne suis plus qu’une boule de stress qui avance certains jours en zombie anesthésiée par le manque de sommeil, et le lendemain explose en torrents de spasmes et de larmes sans rien contrôler. Et les heures qui passent comme des années sans s’en soucier.
Sinon, aujourd’hui, dans le monde, 18000 enfants sont morts de faim, 8000 personnes sont mortes du sida, dont 1000 enfants, combien de civils lors des conflits armés, ça je n’ai pas réussi à trouver de chiffres fiables pour faire un calcul, pareil pour le nombre de femmes violées, battues, etc (un recensement difficile), 1 400 000 enfants prostitués ont eu une journée d’enfer (juste en Inde, Thaïlande, Taiwan, USA, Chine populaire et enfants de l’Europe de l’est se prostituant à l’ouest), 200 à 250 millions d’adultes se sont levés ce matin et se coucheront ce soir (s’ils en ont le droit) en esclaves “modernes”, 100 espèces animales ont disparu et 73 km2 de forêt amazonienne ont été détruits (juste cette forêt-là hein)…
Je sais. Mais mon cerveau n’arrive pas à relativiser. Un bug.
J’vous l’dis : j’ai une frousse comme jamais. Et elle est incontrôlable. Et je suis seule, ici au pays du long nuage blanc, sans ma famille, sans mon amour, sans mes amis, enfin ceux d’avant, ceux de France. Et certains matins j’ai l’impression que mon coeur va s’arrêter et que je vais basculer. Je croyais que j’étais plus forte. Zut.
Alors je me mets dans mon rocking-chair imaginaire, et je ferme les yeux, comme ça en les crispant très fort, me balançant au son du tic-tac d’une pendule dans ma tête, comme une enfant, en me disant que lorsque je les ouvrirai tout cela sera fini, cet entre-deux bâtard.
Mais ça ne marche jamais.
Reste à respirer profondément et à me préparer pour les cinquante jours les plus longs. C'est un gouffre sans fin ce no man's land entre deux livres, avec mon petit moi encore en train de fermer le précédent et sans avoir encore ouvert le prochain. Et serai-je capable de l'écrire, le prochain ? Je saurai faire ? Hein ? Sa-aaa-aaa-mmmmmyyy j'ai peeeeeuuuur...
Oui. Une fois n’est pas coutume, je me suis retrouvée coincée en huis clos avec moi-même. Et merde. Il semblerait que ces derniers temps, de moins en moins d’autres personnalités se bousculent au portillon de mon neurone, et j’ai une explication : il y a déjà beaucoup trop de choses dans ma petite tête. Alors je tente une thérapie par l’écrit, parce qu’il me tarde de virer le videur qui refoule tout le monde à l'entrée.
Ça fait huit ans que je suis dans la pub. Imaginez mon quotidien : déconne, putes et coke à gogo comme dans les années 80.
Moins les putes et la coke et la déconne, parce que justement, on n’y est plus, dans les années 80. Donc, juste des journées normales, des fous rires, de la création, des nuits blanches au bureau mais pas trop, des pétages de plomb "nan vraiment le client est trop con" et parfois des voyages à pétaouchnok aux frais de la princesse parce qu’on a bien prit soin d’installer l’histoire dans le Grand Canyon, près des chutes du Niagara, ou dans la pampa mexicaine.
Longtemps je ne me suis pas couchée de bonne heure et j’ai aimé, d’une façon très égoïste de petite fille gâtée, mon métier -parce qu’il change tous les jours et qu’en majorité, ce qu’on me demande c’est d’avoir des idées- qui me l’a bien rendu de surcroît, quelques récompenses par-ci par là dans les concours internationaux, et la possibilité de me faire embaucher partout dans le monde.
Et puis la lassitude s’est installée. Puis la trentaine. Et la lassitude s’est gentiment transformée, sinon en haine, du moins en dégoût.
Et un matin j’ai dû mettre mes chaussures à l’envers pour tromper l’impression d’aller au boulot à reculons.
Et puis la décision a été prise.
Et dans un mois et demi je quitte mon taf, treize ans de ma vie études comprises, la Nouvelle-Zélande, pour l'inconnu. Je m'apprête à tourner la dernière page d’un bouquin mille fois terminé, claquant la dernière de couv d’une gifle de la main, pour en ouvrir un autre... dont les pages sont vierges... encore plus que Marie.
Jusque là me direz-vous, mouais, y’a du changement dans l’air, et alors ?
Ouais ben dans cinquante jours j’aurai vendu (ou donné) toute ma vie, tout, tout, TOUT, meubles, matos, fringues (j'suis pas matérialiste m'enfin mes jolies bottes là...!) pour repartir à zéro avec un sac à dos de 20 kg, ni plus, ni moins, avec un stop d’un mois en Australie pour passer quelques diplômes de plongée (j'ai décidé de faire de ma passion un métier -gardant une place pour les opportunités que les voyages et la vie peuvent apporter- et de pouvoir enfin vivre aux côtés de mon amour) et après... après ben je ne sais toujours pas.
Et je ne le saurai qu’en octobre, c’est à dire, une fois que j’aurai tout plaqué (parce que les projets à deux, ça ne se fait que lentement à 15000 bornes de distance. Et puis d’ici là, il m’aimera toujours ? Il n’aura rencontré personne ? Comme ça par hasard ? Ça a tenu jusque là mais la vie est garce parfois alors ça tiendra encore ?...).
Et bien moi qui n’ai jamais eu les deux pieds bien sur Terre, à la rigueur juste un orteil, et encore, de temps en temps, et bien là j’ai la frousse. La pétoche. La trouille de l’incertitude au ventre. Des petits vers qui rongent mes entrailles la nuit et font le ram-dam dans mes insomnies. Parce que pour une fois je n’arrive pas à me projeter dans l’inconnu. Parce que cette fois-ci, ce n’est pas juste un rêve : c’est la vie.
Certains jours je gère l’impatience et l’angoisse. Et d’autres je tombe. Je voudrais pouvoir accélérer le temps, dire merde aux secondes. Mais la pendule de l'existence fait "tic-tac", comme un "non-non, c’est comme ça, t’es coincée pour l’instant", avec ce truc qui grouille en toi comme une fièvre.
Je ne suis plus qu’une boule de stress qui avance certains jours en zombie anesthésiée par le manque de sommeil, et le lendemain explose en torrents de spasmes et de larmes sans rien contrôler. Et les heures qui passent comme des années sans s’en soucier.
Sinon, aujourd’hui, dans le monde, 18000 enfants sont morts de faim, 8000 personnes sont mortes du sida, dont 1000 enfants, combien de civils lors des conflits armés, ça je n’ai pas réussi à trouver de chiffres fiables pour faire un calcul, pareil pour le nombre de femmes violées, battues, etc (un recensement difficile), 1 400 000 enfants prostitués ont eu une journée d’enfer (juste en Inde, Thaïlande, Taiwan, USA, Chine populaire et enfants de l’Europe de l’est se prostituant à l’ouest), 200 à 250 millions d’adultes se sont levés ce matin et se coucheront ce soir (s’ils en ont le droit) en esclaves “modernes”, 100 espèces animales ont disparu et 73 km2 de forêt amazonienne ont été détruits (juste cette forêt-là hein)…
Je sais. Mais mon cerveau n’arrive pas à relativiser. Un bug.
J’vous l’dis : j’ai une frousse comme jamais. Et elle est incontrôlable. Et je suis seule, ici au pays du long nuage blanc, sans ma famille, sans mon amour, sans mes amis, enfin ceux d’avant, ceux de France. Et certains matins j’ai l’impression que mon coeur va s’arrêter et que je vais basculer. Je croyais que j’étais plus forte. Zut.
Alors je me mets dans mon rocking-chair imaginaire, et je ferme les yeux, comme ça en les crispant très fort, me balançant au son du tic-tac d’une pendule dans ma tête, comme une enfant, en me disant que lorsque je les ouvrirai tout cela sera fini, cet entre-deux bâtard.
Mais ça ne marche jamais.
Reste à respirer profondément et à me préparer pour les cinquante jours les plus longs. C'est un gouffre sans fin ce no man's land entre deux livres, avec mon petit moi encore en train de fermer le précédent et sans avoir encore ouvert le prochain. Et serai-je capable de l'écrire, le prochain ? Je saurai faire ? Hein ? Sa-aaa-aaa-mmmmmyyy j'ai peeeeeuuuur...