Je m’apprêtais à ouvrir les persiennes lorsqu’à l’intérieur de moi quelqu’un a frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air aseptisé quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Dr Brevier.
- “Lavande ? C’est étrange comme prénom”, dit avec la voix guillerette d’une guillotine le chef du service de psychiatrie.
- “Appelez-moi Docteur Brevier”, répondis-je avec autant d’entrain.
- “Et bien, Doc, bienvenue. Emma va vous montrer l’établissement. Je vous saurais gré de vous attarder un peu sur ce cas sur lequel on bute depuis deux mois, vous n’avez pas pu manquer ce patient en arrivant, c’est le rouquin à la bobine de hobbit qui bat ses coudes comme pour s’envoler en faisant cot cot cot. J’attends votre diagnostic. Et ne revenez-pas avec pour seule analyse une désynchronisation épipho-catatonique, c’est évident qu’il lui manque le symptôme de l’introversion chronique scandatoire, plutôt rédhibitoire, ha ha, vous en conviendrez. Allez hop, au boulot !”
Après quelques pas dans les couloirs avec Emma, j’invite notre ami gallinacé à répondre à quelques unes de mes questions. Il semblerait qu’entre ses battements de bras et ses pets qu’il égrène comme des fientes, il ne puisse caqueter que “Coupez moi la tête, alouette, et je volerai quand même !” en ébouriffant les poils de son aisselle avec son nez tordu.
- “Il a été trouvé comme ça, en pleine campagne... Après quelques tours dans les villages alentours, personne n’a pu l’identifier. Pourtant, il a l’accent du coin” me dit Emma avec le sien qu’on couperait bien au couteau parce qu’il est plein comme un bon gateau.
- “Bon”, dis-je en prenant mon manteau qui mériterait qu’on le recouse.
Emma me court après à petits pas... “Vous allez où?... c’est l’heure de déjeuner il est midi...” “Je suis une psychiatre de terrain moi, pas de cafétéria... Vous venez avec moi Emma, je vous offre une petite prune...”
J’ai demandé à Emma quel était le petit troquet favori de tous les villages et lieux dits des alentours. On s’est assises à une petite table dans un coin. Emma a siroté sa prune, et raconté sa vie pendant que je tendais l’oreille. Pas bien longtemps.
- "T’as vu Guitoune et Gégé ?" a demandé un gros homme aux mains de géants.
- "Nan."
- "Ha ha, z’ont rencart avec une poule ???"
- "Tais-toi va, c’est pas des trucs pour rigoler."
Dling dling... la cloche de la vieille porte d’entrée résonne : le gros range ses mains de géant dans ses poches tandis que le petit allume nerveusement son clope. Deux hommes entrent comme des ombres et s’accoudent au comptoir comme des vautours.
Quand nous retournons à la voiture le petit me rattrappe avec son mégot :
- “J’vous ai vu tantôt à l’hosto, vous êtes toubib ?” me demande-t-il en roulant des yeux.
Je réponds “Oui, c’est mal ?” et il dit “Non, tant mieux, je venais aux nouvelles...”
- “Pourquoi êtes-vous parti... de l'hôpital ?
- “J’suis pas trop à l’aise... Il va r’dev’nir normal, enfin, comme avant le p’tit Pierrot ?”
- “Je ne sais pas. Vous aimeriez ?”
- “Ben c’t’un bon gars.” s’écoute-t-il dire en baissant les yeux.
- “Vous habitez-loin? Non? parce que voyez-vous, Emma que voilà et moi, on n’serait pas contre une p’tite prune, hein Emma, ou un p’tit ratafia... Vous avez ça ?”
- “Ben v’nez toujours, on va regarder...”
Et une fois qu’il a ouvert sa porte il n’a plus fermé sa bouche.
L’histoire est la suivante.
C’était un de ces soirs au troquet où les coeurs des hommes s’ennuyaient tandis que les arbres au dehors battaient au vent comme des fouets. Guitoune et Gégé refaisaient un monde de merde alors que Pierrot les écoutait dans son coin, le p’tit Pierrot avec son sourire, l’fiston du grand Nanard qu’avait les vignes. Pas très futé l’Pierrot, mais n’a quand même écopé des vignes à la mort de son père. C’est l’patron de Guitoune maintenant. Enfin, on ne sait pas très bien qui va reprendre les rênes, mainteant que le p'tiot est complètement zinzin... Bref, toujours est-il que ce soir là, Pierrot était sur son trente-et-un, la mèche bien de côté et les ongles tout propres.
- “Ben l’Pierrot, tu brilles, qu’est k’t’arrives?
Et Pierrot a rougi de plaisir en répondant à Guitoune “J’ai rendez-vous avec une dame.”
- “T’as rendez-vous avec une dame ? Ha ha, l’Pierrot, z’avez entendu ?? Une dâââme ! Hé hé, une poule, nôt’ Pierrot a rencart avec une poule ! he he, tu nous l’amènes, on va la faire chanter nous !!”
- “Bonsoir”, a dit Pierrot, et il est parti.
Et puis Guitoune et Gégé ont continué à se foutre de Pierrot l’dégénéré, qu’a une case en moins, moitié neuneu, moitié humain.
Et ce type qui me parle là, devant un ratafia, à la fermeture du p'tit troquet il a suivi le Gégé et l’Guitoune. Il les a vu s’approcher de la maison du père de Pierrot. Il les a vu regarder Pierrot et son amie dans la maison, au coin du feu, à se sourire. C’était Julie la fille de la boulangère, et ses douces joues roses. Pas des flèches ces deux là mais des lances de tendresse dans les yeux.
Il les a vu entrer dans la maison, il les a vu jeter Pierrot par terre, empoigner la p’tite Julie par les cheveux comme des campagnols dans leurs serres de rapaces, crier “Alors, c’est elle la poule?!!”, hurler “Nous aussi on aime les poules, allez, chante chante, j’suis ton coq haaaaa!”.
Le type qui me parle peint à la brosse ce tableau de violence, Pierrot qui pleure et qui se tord par terre sans comprendre, et Guitoune qui viole et claque et les bleus et les plaies partout sur la fille et les yeux de Gégé qui lancent des éclairs troubles de mauvais vin quand tous les deux ils mettent la petite en sang sur l’appuie-fenêtre et “Vas-y la poule allez, bats des ailles !! allez !!! sauve ta peau bats des ailes envole toiiii” et la p’tite traumatisée qui bat ses bras comme si ça allait la sauver.
Emma ne boit plus son ratafia depuis longtemps.
Le vieux qui parle a des poches de larmes et de regrets sous les yeux.
Le Gégé et le Guitoune l’ont enterrée dans les bois, pendant que Pierrot avait quitté ce monde et se faisait dessus en criant.
“Vers 4 heures du matin, j’lai ai vus revenir mettre le Pierrot dans la voiture, ils l’ont laissé dans la campagne.” Le type qui nous dit ça n’a plus de salive.
Je lui demande “Et le reste du village n’a rien entendu? Et aux alentours personne n’a reconnu Pierrot sur les photos?”
Il baisse les yeux et les perd dans l’enfer qu’il s’est ouvert.
Quand j’ai poussé les portes du service psychiatrique j’entendais des sirènes de police au loin, dans le brouillard et les non-dits des champs, dans les courants d’air silencieux des foyers et de leurs bouches cousues.
Je suis allée voir Pierrot et en m’agenouillant devant lui, je lui ai dit :
- “Pierrot ?”
- “Coupez moi la tête, alouette, et je volerai quand même ! Coupez-moi la tête, alouette, ....”
- “Tu sais bien que tu ne voleras pas. Julie elle non plus ne pouvait pas voler. Tu sais pourquoi ?”
Il s’est arrêté de battre des coudes à l’évocation de Julie. Il me lance un ragard interrogateur.
- “ Parce que tu n’es pas une poule.”
- Il me dit : “Je sais. Et Julie non plus. Et de toute manière les poules ne volent pas loin.”
Je lui dis oui, tu as raison.
Le chef du service de psychiatrie s’approche de nous alors que j’emmène Pierrot s’assoir un peu à l’écart, et me glisse à l’oreille :
- “Alors, comment ça va dans le poulailler ?”
- “Demandez aux renards.”
- “Lavande ? C’est étrange comme prénom”, dit avec la voix guillerette d’une guillotine le chef du service de psychiatrie.
- “Appelez-moi Docteur Brevier”, répondis-je avec autant d’entrain.
- “Et bien, Doc, bienvenue. Emma va vous montrer l’établissement. Je vous saurais gré de vous attarder un peu sur ce cas sur lequel on bute depuis deux mois, vous n’avez pas pu manquer ce patient en arrivant, c’est le rouquin à la bobine de hobbit qui bat ses coudes comme pour s’envoler en faisant cot cot cot. J’attends votre diagnostic. Et ne revenez-pas avec pour seule analyse une désynchronisation épipho-catatonique, c’est évident qu’il lui manque le symptôme de l’introversion chronique scandatoire, plutôt rédhibitoire, ha ha, vous en conviendrez. Allez hop, au boulot !”
Après quelques pas dans les couloirs avec Emma, j’invite notre ami gallinacé à répondre à quelques unes de mes questions. Il semblerait qu’entre ses battements de bras et ses pets qu’il égrène comme des fientes, il ne puisse caqueter que “Coupez moi la tête, alouette, et je volerai quand même !” en ébouriffant les poils de son aisselle avec son nez tordu.
- “Il a été trouvé comme ça, en pleine campagne... Après quelques tours dans les villages alentours, personne n’a pu l’identifier. Pourtant, il a l’accent du coin” me dit Emma avec le sien qu’on couperait bien au couteau parce qu’il est plein comme un bon gateau.
- “Bon”, dis-je en prenant mon manteau qui mériterait qu’on le recouse.
Emma me court après à petits pas... “Vous allez où?... c’est l’heure de déjeuner il est midi...” “Je suis une psychiatre de terrain moi, pas de cafétéria... Vous venez avec moi Emma, je vous offre une petite prune...”
J’ai demandé à Emma quel était le petit troquet favori de tous les villages et lieux dits des alentours. On s’est assises à une petite table dans un coin. Emma a siroté sa prune, et raconté sa vie pendant que je tendais l’oreille. Pas bien longtemps.
- "T’as vu Guitoune et Gégé ?" a demandé un gros homme aux mains de géants.
- "Nan."
- "Ha ha, z’ont rencart avec une poule ???"
- "Tais-toi va, c’est pas des trucs pour rigoler."
Dling dling... la cloche de la vieille porte d’entrée résonne : le gros range ses mains de géant dans ses poches tandis que le petit allume nerveusement son clope. Deux hommes entrent comme des ombres et s’accoudent au comptoir comme des vautours.
Quand nous retournons à la voiture le petit me rattrappe avec son mégot :
- “J’vous ai vu tantôt à l’hosto, vous êtes toubib ?” me demande-t-il en roulant des yeux.
Je réponds “Oui, c’est mal ?” et il dit “Non, tant mieux, je venais aux nouvelles...”
- “Pourquoi êtes-vous parti... de l'hôpital ?
- “J’suis pas trop à l’aise... Il va r’dev’nir normal, enfin, comme avant le p’tit Pierrot ?”
- “Je ne sais pas. Vous aimeriez ?”
- “Ben c’t’un bon gars.” s’écoute-t-il dire en baissant les yeux.
- “Vous habitez-loin? Non? parce que voyez-vous, Emma que voilà et moi, on n’serait pas contre une p’tite prune, hein Emma, ou un p’tit ratafia... Vous avez ça ?”
- “Ben v’nez toujours, on va regarder...”
Et une fois qu’il a ouvert sa porte il n’a plus fermé sa bouche.
L’histoire est la suivante.
C’était un de ces soirs au troquet où les coeurs des hommes s’ennuyaient tandis que les arbres au dehors battaient au vent comme des fouets. Guitoune et Gégé refaisaient un monde de merde alors que Pierrot les écoutait dans son coin, le p’tit Pierrot avec son sourire, l’fiston du grand Nanard qu’avait les vignes. Pas très futé l’Pierrot, mais n’a quand même écopé des vignes à la mort de son père. C’est l’patron de Guitoune maintenant. Enfin, on ne sait pas très bien qui va reprendre les rênes, mainteant que le p'tiot est complètement zinzin... Bref, toujours est-il que ce soir là, Pierrot était sur son trente-et-un, la mèche bien de côté et les ongles tout propres.
- “Ben l’Pierrot, tu brilles, qu’est k’t’arrives?
Et Pierrot a rougi de plaisir en répondant à Guitoune “J’ai rendez-vous avec une dame.”
- “T’as rendez-vous avec une dame ? Ha ha, l’Pierrot, z’avez entendu ?? Une dâââme ! Hé hé, une poule, nôt’ Pierrot a rencart avec une poule ! he he, tu nous l’amènes, on va la faire chanter nous !!”
- “Bonsoir”, a dit Pierrot, et il est parti.
Et puis Guitoune et Gégé ont continué à se foutre de Pierrot l’dégénéré, qu’a une case en moins, moitié neuneu, moitié humain.
Et ce type qui me parle là, devant un ratafia, à la fermeture du p'tit troquet il a suivi le Gégé et l’Guitoune. Il les a vu s’approcher de la maison du père de Pierrot. Il les a vu regarder Pierrot et son amie dans la maison, au coin du feu, à se sourire. C’était Julie la fille de la boulangère, et ses douces joues roses. Pas des flèches ces deux là mais des lances de tendresse dans les yeux.
Il les a vu entrer dans la maison, il les a vu jeter Pierrot par terre, empoigner la p’tite Julie par les cheveux comme des campagnols dans leurs serres de rapaces, crier “Alors, c’est elle la poule?!!”, hurler “Nous aussi on aime les poules, allez, chante chante, j’suis ton coq haaaaa!”.
Le type qui me parle peint à la brosse ce tableau de violence, Pierrot qui pleure et qui se tord par terre sans comprendre, et Guitoune qui viole et claque et les bleus et les plaies partout sur la fille et les yeux de Gégé qui lancent des éclairs troubles de mauvais vin quand tous les deux ils mettent la petite en sang sur l’appuie-fenêtre et “Vas-y la poule allez, bats des ailles !! allez !!! sauve ta peau bats des ailes envole toiiii” et la p’tite traumatisée qui bat ses bras comme si ça allait la sauver.
Emma ne boit plus son ratafia depuis longtemps.
Le vieux qui parle a des poches de larmes et de regrets sous les yeux.
Le Gégé et le Guitoune l’ont enterrée dans les bois, pendant que Pierrot avait quitté ce monde et se faisait dessus en criant.
“Vers 4 heures du matin, j’lai ai vus revenir mettre le Pierrot dans la voiture, ils l’ont laissé dans la campagne.” Le type qui nous dit ça n’a plus de salive.
Je lui demande “Et le reste du village n’a rien entendu? Et aux alentours personne n’a reconnu Pierrot sur les photos?”
Il baisse les yeux et les perd dans l’enfer qu’il s’est ouvert.
Quand j’ai poussé les portes du service psychiatrique j’entendais des sirènes de police au loin, dans le brouillard et les non-dits des champs, dans les courants d’air silencieux des foyers et de leurs bouches cousues.
Je suis allée voir Pierrot et en m’agenouillant devant lui, je lui ai dit :
- “Pierrot ?”
- “Coupez moi la tête, alouette, et je volerai quand même ! Coupez-moi la tête, alouette, ....”
- “Tu sais bien que tu ne voleras pas. Julie elle non plus ne pouvait pas voler. Tu sais pourquoi ?”
Il s’est arrêté de battre des coudes à l’évocation de Julie. Il me lance un ragard interrogateur.
- “ Parce que tu n’es pas une poule.”
- Il me dit : “Je sais. Et Julie non plus. Et de toute manière les poules ne volent pas loin.”
Je lui dis oui, tu as raison.
Le chef du service de psychiatrie s’approche de nous alors que j’emmène Pierrot s’assoir un peu à l’écart, et me glisse à l’oreille :
- “Alors, comment ça va dans le poulailler ?”
- “Demandez aux renards.”
9 commentaires:
* Caquetement d'approbation *
Comme quoi la folie ça ne tient pas à grand chose : un drame, une injustice, et tout peut basculer.
Et les fous ne sont pas toujours ceux qu'on croit.
Ce texte rappelle Pagnol et Manon des Sources pour le côté complicité paysanne dans le crime.
J'ai beaucoup aimé.
STV... tu fais vach'ment bien la poule !
CarrieB, oui, je crois que c'est facile de perdre pied, avec la vie et ses croche-pattes...
Meryllb, j'ai l'impression que c'est une mode dans les petits villages de campagne : on sait tout sur tout le monde, qui que quoi dont où etc, mais dès qu'on nous demande, on ne sait plus rien. Mauvaise mémoire probablement.
Putain...(plus de son)
C'est trop bien.
bisous a toi et tes amis qui sortent de toi, tendremment.kat
Kat, mes doubles et moi tu nous manques beaucoup, à bientôt
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- David
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