samedi 2 juin 2007

Schizo-Marc-Roberto

Je m’apprêtais à ouvrir ma valise lorsqu’à l’intérieur de moi quelques uns ont frappé. Ça a fait comme un grand courant d’air moite quand j’ai entrebaillé ma tête, et laissé entrer… Marc et Roberto.

L’homme est tatoué. Un Neptune grimaçant déchaîne les océans sur son dos en sueur et une femme se répand en extase sur le rocher de son omoplate, comme si l’écume de cette nature en furie divine giclait sur elle comme dans un film de cul.
Il est au téléphone, les trous de sa peau vérolée en contact moite avec le combiné; calme et froid dans cette chaleur étouffante; des filets de sueurs ravinant sa tempe. Rangeant son portable dans la poche de son treillis élimé, il se tourne vers moi. Dans un ralenti de cinéma il hausse les épaules comme pour s’excuser de ce contre-temps, et crache par terre. Sa salive échoue parmi les mégots. Et une eau sale continue à s’échapper d’un tuyau rouillé.

Je n’ai rien d’autre à faire donc j’attends.

Il décapsule une bière et s’affale sur un tabouret bancal. M’en propose une et sourit, comme par évidence, quand je décline du regard.
- “Elle me quitte.” m'avoue-t-il.

Je cligne des yeux.

“Au téléphone, là. Elle m’a quitté. J’lui demande pourquoi et elle me répond “ Tu n’m'as pas demandé pourquoi je t’aimais. Là c’est pareil. Y’a pas plus de raisons.” T’y crois toi?” Une gorgée de bière. “Tu sais qu’le môme c’est même pas l’mien?... un chouette gamin... j’le verrai plus mais c’est pas l’mien tu vois?”

Je lève les yeux au ciel pour partager son instant d’impuissance. La goutte de sueur sur mon nez me gratte. Je secoue la tête. Elle s’envole.

“Crois-moi j’aimerais ne pas être ici. Avec toi. Enfermé dans cette histoire. J’fais ça depuis trop longtemps. Pourquoi les histoires nous kidnappent comme ça, les portes qui s’ouvrent sans qu’on le veuille, et qui se r’ferment ? Et nous dans la pièce, coincés comme des porcs qui ne crient qu’à l’intérieur? Tu crois au Paradis ?” Il rit en encaînant avec dégoût “Sûr. L’enfer est déjà sur terre.” Il jette la canette sans la broyer avec son majeur manquant. “Le destin se charge de faire pour nous les choix. J’suis là pour ça, pour que l’destin il s’marre. Il est plus fort que nous. Bien plus fort.”

Je ne cille pas.

“ Tu t’sens libre toi?” Il se lève, je ne bouge pas. “Tu n’vis pas ici toi, y’a des endroits où on est libres ? J’dis ça parce quand ils vont arriver” il regarde sa montre “... ça va barder. Y’a rien de personnel mais ça tu l’sais. Enfin j’te l’dis. Si j’te dis ça, et j’te parle pas d’liberté physique, han han, c’est que tu as dix minutes au max pour creuser un trou dans ta cervelle et y puiser le ressort pour mourir en homme libre. Dis-toi qu’le corps c’est rien”.
Il s’en va humer l’air un peu plus frais au dehors du hangar.
Dans un rai de soleil dans un coin il y a un rat qui passe. Et qui file dans un trou.

Quand il revient il me semble moins inconnu. Il s’arrête à quelques pas de moi. Il regarde l’endroit, les vieilles tuyauteries, le béton qui pourrit et les amas de tôles disséminés un peu partout dans ce hangar oublié.
Et le vieux sang, et le sang plus frais sur le sol, en divers endroits. Tests de Rorschar pourpres. Lie de vin foutu. Ou noirs. Sur le sol sale. Du genre qu’est-ce que tu vois ? Je vois mon futur. Je vois les prochaines minutes, heures, qui sait.
Il balaie du regard et du coeur tout ça. Longtemps. Jusqu’à ce qu’une voiture approche. Que le moteur se coupe. Et que j’entende quatre portières claquer.
Il a raison, rien de personnel. Juste un autre type qui de l’argent, du pouvoir, qui en a fait le tour, et qui veut plus, ce que peu peuvent se permettre, ce qui le convaincra d'être l'homme spécial et rare qui aura l'infini pouvoir de se l'autoriser sans états d'âme. Qui va me torturer. Jusqu’au bout. Combien de temps? Et regarder le film. Encore. Jusqu’à ce qu’il en soit las aussi.

Alors que les voix se font plus proches, l’homme au tatouage de Neptune plante son regard dans le mien. Fait trois pas vers moi. Se penche à mon oreille. Et m’y glisse comme dans un râle de vivant “Je vais t’enlever le chatterton de la bouche. Avant qu’ils arrivent. Parce que peut-être tu veux dire quelquechose. Parce que ce sera la dernière fois. Tu sais”. Il a donc enlevé le chatterton, presque doucement.
Et je lui ai juste chuchoté “Tu veux être libre?”
Il m’a répondu “Je ne demande que ça. Tu l’es déjà toi...?”
“Oui” ai-je répondu en souriant, en regardant son Beretta. Il n’a pas semblé comprendre sur le moment.
Alors j’ai juste fermé les yeux. Et ai murmuré “je m’appelle Marc.”

J’ai remis le chatterton sur la bouche de Marc. Pour rien. Par habitude. Il avait dit tout ce qu’il avait à dire. Mon boss et ses amis sont maintenant derrière moi.
Mon travail était fini.
Leur jeu allait commencer.

Seulement cette fois-ci ce n’est plus une histoire de portes qui enferment. C’est une histoire de clefs. Peu importent les raisons qui nous poussent à ouvrir les portes. Entre le pire qui puisse nous arriver et le pire qu’on pensait, il y a toujours un choix. Deux, dans ce cas-là.
Marco n’a pas ouvert les yeux lorque ma balle s’est logée dans son front. Les poings liés à la chaise, il s’est écroulé dans un sourire de vainqueur.

Moi je ne ferme pas les yeux. Je regarde un rai de soleil, et un rat qui sort de son trou.
Combien de temps avant la détonation ?
J’entends quatre pistolets qui s’arment.
Je m’appelle Roberto. Et la liberté n’est qu’un prélude. J’ai quelques secondes pour la savourer.
Quelques secondes pour y penser.
Y’a pas de rédemption. Le paradis, c’est juste la fin d’l’enfer.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

T'es... t'es sûre que tu as passé de bonnes vacances ?

Schizozote a dit…

Ben c'est plutôt le fait qu'elle soient passées qui m'fiche un coup ;)

Anonyme a dit…

En tous cas, niveau inspiration et narration, elles t'ont fait un sacré bien, ces vacances ! :)

Anonyme a dit…

.... Euh 'faut plus qu'tu partes en vacances ou plus qu'tu reviennes de vacances o pis si enfin non, enfin c'est encore de la balle...Encore....

Schizozote a dit…

STV et Louvekat, merci c'est trop zentiiil ze vous aime !!! (quoi j'aime quand on me flatte ?!)

Anonyme a dit…

beaucoup appris